sur la Méduse

Paulin Étienne d’Anglas de Praviel et Pierre Gros

En 1815, après les 100 jours et la chute de Napoléon Bonaparte à Waterloo suivie de son exil définitif sur l’île de Sainte-Hélène, Louis XVIII remonte sur le trône de la monarchie constitutionnelle. On met alors en place à des postes clé de l’exécutif d’anciens nobles Royalistes, souvent exilés depuis la révolution française, qui désirent plus que tout le retour à une société d’ancien régime. Suite aux guerres Napoléoniennes, La France est temporairement occupée par les Britanniques, les Autrichiens et les Allemands. Le traité de Paris signé le 20 Novembre 1815 coutera à la France une partie de son territoire, une indemnité de 700 Millions de Francs, et devra entretenir les troupes d’occupation pendant cinq ans. Cette période donne lieu dans le midi de la France à ce que l’on nommera plus tard « la terreur Blanche de 1815 », durant laquelle des bandes Royalistes s’en prennent aux Bonapartistes et aux partisans avérés ou supposés de la révolution. Dans notre région, les villes de Nîmes et Uzès, ainsi que quelques villages sont touchés par de terribles massacres (on retrouve notamment la trace de troubles importants sur Vauvert et le Cailar). Dans cet élan de haine et de vengeance, les protestants sont aussi pris à parti ; beaucoup seront rançonnés, spoliés de leurs biens et assassinés (1). 

Dès son retour au pouvoir, Louis XVIII poursuit son projet de récupération de certaines colonies Françaises d’Afrique, prises par les Anglais en 1809 et restituées en 1814. Il souhaite notamment reprendre rapidement le comptoir principal de St Louis du Sénégal. Il s’agit de renouer des contacts diplomatiques, d’explorer et établir des relevés topographiques, notamment sur la région proche du cap Vert en vue d’y installer une nouvelle colonie, de relancer le commerce de la gomme, prospecter les minerais et les ressources que peuvent offrir le pays. Plus secrètement, le Roi souhaite aussi y construire un bagne, dans lequel les opposants Bonapartistes doivent y être exilés. Malgré son abolition en France, on pratique toujours dans cette colonie la traite d’esclaves noirs Africains.  En 1816, l’organisation de l’expédition nommée « Division du Sénégal » est déjà bien avancée, après presque 2 ans de préparation. On doit acheminer par bateau, à plus de 4000 kilomètres, environs 400 personnes issues de la société civile, militaire et politique. Cette armada doit emporter le nouveau gouverneur du Sénégal Julien-Désiré Schmaltz, des scientifiques explorateurs, Instituteurs et curés, commerçants, ouvriers, agriculteurs etc. Doivent être aussi acheminés l’état major et le « bataillon d’Afrique », composé de trois compagnies militaires. Certains voyageurs son accompagnés de leurs familles, comme celle du gouverneur Schmaltz, suivie de leurs domestiques, ou bien la famille Picard, greffier notaire, qui comprend neuf personnes, dont des enfants en bas âge. Le rôle d’embarquement note aussi la présence de femmes de troupe (épouses de militaires, cantinières). On doit faire suivre des denrées alimentaires, du matériel scientifique de précision, des armes et des outils, une importante somme d’argent (90 000 Francs Or, contenus dans cinq barils entreposés dans la sainte barbe du navire principal), tous les documents administratifs, ainsi qu’une superbe statue, un buste du Roi devant représenter le monarque sur place. Au milieu du mois de Juin, L’expédition Royale est fin prête. Elle est composée de quatre navires : la frégate la Méduse (le navire amiral), la corvette l’Echo, la flûte la Loire et le brick l’Argus. Les personnes embarquées sont réparties entre deux vaisseaux, la Loire et la Méduse. Les militaires faisant partie du bataillon d’Afrique, composé de 252 hommes en trois compagnies de 84 soldats chacune, sont séparés ; une compagnie sur la Loire et deux compagnies sur la Méduse. 

Deux personnages provenant d’Aigues-Mortes et de sa région sont présents sur l’imposante frégate du Roi, nous y reviendrons. Il s’agit de Paulin Étienne d’Anglas de Praviel, originaire d’Aimargues, et Pierre Gros, originaire d’Aigues-Mortes. Pour Pierre, on verra qu’à l’époque son nom de famille était prononcé « Grosse » ;  Il est inscrit avec cette orthographe sur le rôle d’embarquement de la Frégate Royale.

Le Roi a eu des difficultés à trouver un capitaine pour commander l’expédition. Les plus grands noms de la navigation à cette époque étant Bonapartistes, ils ont pratiquement tous été arrêtés, emprisonnés ou éliminés en représailles à leur soutien à l’empereur. Le Roi va finalement mettre à la tête du corps expéditionnaire un dénommé Hugues Duroy de Chaumareys, issu d’une ancienne famille bourgeoise anoblie sous Louis XIV. Ce noble qui n’a pas navigué depuis fort longtemps, se fait confier le commandement de la flotte sur la seule foi de sa particule. Il a menti sur son âge et ses capacités de marin à conduire une expédition aussi prestigieuse. Le capitaine Leconte dira de lui : « Ces messieurs rentraient tous avec un grade supérieur à celui qu’ils avaient eu, et cela après avoir cessé de naviguer pendant vingt cinq ans ; encore ce temps leur fut il compté pour service actif. Presque tous étaient des vieillards apportant avec eux leurs vieux préjugés »

Ce mauvais choix de Louis XVIII va entrainer l’expédition dans la pire catastrophe maritime du siècle. On note aussi la présence sur le navire amiral des membres d’un groupe discret. Il s’agit d’une puissante association d’intérêts économiques crée en 1814, nommée la « Société Coloniale Philanthropique », autorisée par le Roi à contrôler le bon déroulement de son plan d’action politique colonial. Cinq de ses membres sont admis à la table de l’état major de l’expédition. Parmi eux figure un dénommé Antoine Richefort, un ancien officier orgueilleux et borné, qui vient d’être réintégré après dix ans de captivité en Angleterre. Il va jouer un rôle majeur dans le désastre.

 « Enfin, à bord de la Méduse, officiers Royalistes et Bonapartistes se côtoient de mauvaise grâce, et le drame à venir tient sans doute pour une part à cette opposition ». (Denis Escudier)

L’expédition se lance au matin du 17 juin 1816 de l’ile d’Aix en Charente maritime, après de nombreux retards d’organisation de dernière minute et une météo défavorable. Plusieurs témoins ont la sensation d’une certaine désorganisation. Ils apprendrons plus tard à leur dépens que le capitaine à par exemple oublié de faire contrôler les chaloupes de sauvetage, qui sont pour certaines dans un piteux état. Lorsqu’il fait hisser les voiles à l’heure du départ, il oublie d’informer les autres navires par les signaux convenus. Lors de la deuxième nuit de navigation, la frégate failli percuter les récifs de Roches-Bonnes au nord de l’île d’Oléron ; les officiers en second s’en rendent compte au dernier moment et évitent le drame. Rapidement, contredisant les ordres du Roi qui souhaite que l’expédition reste groupée, Chaumareys ordonne de filer au vent et distance les autres navires. Le capitaine semble vouloir se lancer dans une course de vitesse avec une frégate privée, l’Aréthuse, croisée au large et filant grand vent vers la Guadeloupe. Le convoi Royal se dirige alors vers Madère en ordre dispersé. Le 22 Juin un jeune mousse de 15 Ans, Jean Delaye, chute d’une écoutille et se noie. Malgré les efforts de l’équipage pour le retrouver (on met une yole à la mer et on jette une bouée) le jeune mousse disparait en mer. Le 29 Juin, la Méduse fait une halte à Santa Cruz de Ténériffe dans les Canaries Espagnoles, puis l’expédition aborde les côtes Africaine en compagnie de la corvette l’Echo, qui a rejoint la frégate.

Depuis quelques jours, malaise général et rumeurs sont apparus sur le navire. Dans son ouvrage (2) Charlotte Dard (l’une des filles de Charles Picard, le greffier notaire) présente sur la frégate avec sa famille, témoigne de l’inquiétude qui commence à envahir les officiers en second et marins, la rumeur arrivant même aux oreilles des passagers. On commence à émettre de sérieux doutes sur les compétences du capitaine et sur ses capacités à mener à bien l’expédition. Outre le fait qu’il soit porté sur l’alcool, celui ci semble incapable de prendre certaines décisions. Pire, depuis quelque temps il est constamment accompagné de Richefort, cet individu antipathique qui semble avoir une totale emprise sur lui. Imbu de sa personne, hautain avec les officiers de bord, Il prétend connaitre comme sa poche les côtes Africaines et souhaite imposer ses manœuvres. Aux dernières heures avant le drame, c’est Richefort qui donne les ordres à la place du capitaine. Les officiers de bord, outrés, on tentés depuis plusieurs jours de dénoncer cette situation anormale auprès de Chaumareys, insistant sur le manque de sérieux du personnage Richefort, mais rien n’y fait.

L’inquiétude commence à grandir à l’approche du banc d’Arguin. Malgré les cartes marines assez imprécises de l’époque, cette zone dangereuse est bien identifiée. Après le passage du Cap Blanc sur les côtes Mauritaniennes, un gigantesque banc de sable s’étend en longueur vers le sud à 80 km des côtes, exposant les navires à des hauts fonds dangereux. Il faut impérativement naviguer Sud Ouest et revenir au large pour éviter tout risque de s’échouer sur le banc. Alors que les officiers de navigation on déjà relevés le passage du cap, Richefort certifie au capitaine que la frégate ne court aucun risque. Pourtant la veille du drame, en cours de nuit, la corvette l’Echo commençant à s’éloigner de la côte, avait lancée des signaux lumineux à la Méduse, pour lui indiquer le chemin à suivre au large pour éviter le danger. On en informe alors Chaumareys qui décide d’ignorer les signaux. Le matin du drame, les officiers navigateurs insistent auprès du capitaine (la couleur changeante de l’eau laisse prévoir la dangereuse approche d’un haut fond) et on tente de le persuader une dernière fois. « On représenta encore au capitaine, le danger qui nous menaçait, et l’on insista pour que la frégate fut dirigée vers l’Ouest, si l’on ne voulait pas toucher le banc d’Arguin ; mais tous les avis furent encore méprisés, et l’on se moqua des prédictions. » l’un des officiers de la frégate, voulant démasquer l’intriguant Richefort est d’ailleurs mis aux arrêts par Chaumareys. Bredif, un ingénieur des mines rescapé du naufrage finira par ses mots : « M. Richefort prétendait qu’on ne devait rien craindre du banc d’Arguin. Ce sot présomptueux n’écoutait personne, il levait les épaules et nous perdit ». Suivant aveuglément les avis de Richefort, Chaumareys précipite à vive allure l’une des plus belles frégates du Roi sur le banc d’Arguin le 2 juillet à 15h15. Le choc est rude, la frégate tremble de la proue à la poupe, et les occupants sont projetés violemment dans tous les espaces du pont et des cales.  

Charlotte Dard Ecrit : « La consternation est générale. Immobiles comme le vaisseau que nous montions, nous jetons des regards inquiets sur tout ce qui nous environne. Points de cris, point de plaintes, c’est le silence de la mort : au milieu de cet accablement, l’horreur de notre position se peint dans la physionomie pâle et égarée de l’officier de quart »

La Méduse, longue de 47 mètres et pesant plus de 1000 tonnes vient de talonner violemment un haut fond ; le navire est fortement ensablé, il n’en réchappera pas. Durant trois jours on va essayer de le dégager. Le deuxième jour, on croit y arriver mais la marée basse replonge la coque dans les sables. La seule solution pour le sortir du banc eût été d’embarquer temporairement le maximum de passagers dans les chaloupes, puis de jeter à la mer les 10 canons restant (sur les 44 à l’origine, on avait du en déposer une trentaine au port de départ, pour compenser le poids des nombreux passagers et du fret). Ainsi allégé, le navire aurait peut être pu revenir a flot lors d’une marée montante. Chaumareys va alors refuser de jeter à la mer les canons du navire, fierté du Roi. On craint aussi que les canons, de 2 tonnes chacun, ne crèvent la coque lors de leur chute. Ce dernier ordre du capitaine lui coute la perte entière de sa frégate. En 1980, l’équipe du GRIEEM, une association de recherche d’épaves, découvrira les restes de ce fier vaisseau qui avait stoppé net 164 ans auparavant.

Pour l’heure, l’urgence est d’enrayer au plus tôt la révolte qui gronde parmi les hommes de la troupe. L’échouement de la frégate vient de proclamer l’impéritie de Chaumareys. Les faits sont là, implacables. L’homme est désavoué, le marin disqualifié. Les officiers et navigateurs de bord sont furieux. « Les nombreuses tentatives de sortir le navire du banc grâce à des manœuvres d’ancres avaient échouées, en partie à cause des chaloupes qui étaient défectueuses et prenaient l’eau. On les calfate à la hâte avec des feuilles de plomb mais elles prennent trop d’eau ». Pourtant le ministre de la marine avait bien recommandé à Chaumareys d’inspecter tous les canots de sauvetage de la flotte. Jacques Théodore Parizot, un officier de marine chargé par la suite d’analyser les conditions du drame, publie une étude qui démontre que l’on aurai du prendre plus de temps et de méthode pour désensabler la frégate. Par exemple en faisant réparer sérieusement et en priorité les canots, il eut alors été possible de transporter et mouiller au large de plus lourdes ancres, ce qui aurai donné de meilleures chances au navire de pouvoir se tracter hors du banc. Le rapport n’est pas tendre avec Chaumareys qui semble avoir fait preuve d’incompétence, mais le gouverneur Schmaltz a cependant sa part de responsabilité sur certaine mauvaises décisions qu’il impose au capitaine. Le texte est aussi intéressant car il note que dès le début du naufrage on décide de construire à la hâte un grand « raz d’eau », destiné au début à alléger le navire en y embarquant les cargaisons de farine et divers tonneaux.

Le temps étant clément et la côte Mauritanienne située entre 60 et 80 km, une majorité semble se dégager sur l’idée de débarquer en plusieurs fois l’ensemble des occupants sur la côte avec les chaloupes, puis de ramener à terre le plus possible d’eau et de nourriture dans le but de lancer une caravane terrestre jusqu’à St Louis, la chaloupe principale faisant voile pendant ce temps pour réclamer du secours. L’idée était bonne, malgré la crainte des tribus autochtones vivant près des côtes, et encore réalisable aux premières heures du naufrage mais depuis trois jours on tente sans succès de sortir le navire du banc, on tergiverse. A l’épuisement des passagers s’ajoute une nouvelle inquiétante ; le temps tourne et les flots grossissent. Une nuit la frégate subit l’assaut des vagues, et un violent paquet de mer détruit le gouvernail, accentue la gite du navire à tribord et une voie d’eau s’ouvre. De construction robuste et retenue par le banc de sable, la Méduse ne coulera pas et va rester encore largement à flot quelques mois (3 survivants y seront retrouvés 52 jours après); mais rapidement l’urgence d’évacuer l’épave s’impose à l’état major. La encore, l’étude de Parizot démontre que l’ordre d’évacuer le navire a été donné trop tôt. Malgré le mauvais temps arrivant on aurait du attendre, pour mieux organiser l’évacuation et renforcer la construction du radeau pour son nouvel usage. Mais le gouverneur convoque une réunion des officiers, et prend la décision d’utiliser « la machine » que l’on avait construite pour alléger le navire, d’y embarquer la majorité des simples passagers (militaires, ouvriers et marins, quelques officiers). On mettra à l’eau les 6 chaloupes du navire, dans lesquelles seront installés l’état major, le reste des officiers, les familles et quelques marins. Les chaloupes seront amarrées au radeau que l’on tractera jusqu’à la côte Mauritanienne. On prépare secrètement une liste des affectations. Le temps se faisant de plus en plus mauvais, il est décidé de lancer l’évacuation le matin suivant. Devant cette décision, certains marins et officiers s’insurgent. Le capitaine et le gouverneur les rassurent : « Jamais nous ne vous abandonnerons ».

L’idée n’est pas bonne : elle est pourtant imposée par le gouverneur qui n’est pas marin de métier. Plus tard les études réalisées confirmerons que le projet n’était pas viable, à cause du poids supposé de l’imposant radeau, ainsi que des vents et courants dans le secteur. L’œuvre majeure exposée au Louvre, peinte par Géricault en 1818, « Le radeau de la Méduse », quoique sublime ne nous montre pas la réalité. Le véritable radeau mesure une vingtaine de mètres et sept de large. Il embarquera au total entre 147 et 160 personnes.

Le matin du départ, une panique générale s’empare de tous les occupants du navire. Dès l’embarquement des soldats sur le radeau, on comprends que les choses vont mal se passer. Celui ci s’enfonce de plus en plus, les occupants sont entassés sans pouvoir bouger, on à l’eau à hauteur des cuisses. Certains refusent d’y monter. C’est notre Aimarguois, d’Anglas de Praviel, qui est chargé par son chef, M. Poinsignon, de surveiller l’embarquement des soldats sur le radeau. Charlotte Dard le décrit plus tard dans son ouvrage, comme ayant perdu la tête, enjambant le bastingage pistolets aux poings, menaçant les soldats de leur brûler la cervelle s’ils ne montent pas sur le radeau. Il est d’ailleurs prévu qu’il y embarque ensuite, ce qu’il dit avoir fait. Puis il se ravise, rejeté par la masse compacte des malheureux entassés sur le radeau, et remonte sur la Méduse : il aura la vie sauve.

Coté Chaloupes des personnes sont oubliées, on assiste alors à des comportements déplorables. La femme du gouverneur refuse d’embarquer sa femme de chambre sénégalaise et son enfant en bas âge. Il s’agit de Marie Sophie Diébaut et sa fille Alexandrine âgée de 5 Ans. Ce rejet ne plaide pas en faveur des Schmaltz. Charlotte Dard écrit ; « Monsieur le Gouverneur du Sénégal, qui n’était occupé que du soin de se sauver, se faisait descendre mollement dans un fauteuil au grand canot ou se trouvaient déjà sa femme, sa fille et ses meilleurs amis ainsi que plusieurs grandes caisses remplies de provisions. » le capitaine Chaumareys a pris soin lui aussi de faire préparer son esquif avec le plus de vivres possibles, d’embarquer quelques marins et soldats, les plus robustes. Voyant le Capitaine quitter le navire dans une chaloupe aussi peu occupée, des soldats et un lieutenant (identifié comme étant D’anglas), vont tenter de faire feu sur lui. Gaspard Mollien, un commis de marine témoignera plus tard au procès : « Le capitaine restait pourtant encore sur le bâtiment, ou se trouvaient aussi soixante-treize personnes. Il ne garda pas longtemps ce poste d’honneur et, profitant du trouble général, il se laissa glisser le long d’un cordage dans son canot et poussa au large. On lui tira quelques coups de fusils, mais aucun ne l’atteignit ». La famille Picard est abandonnée un moment sur l’épave, le greffier n’ayant pas obtenu la faveur d’embarquer avec le gouverneur. Certains individus pillent le navire et essaient d’emporter avec eux pièces d’or et objets de valeur. D’autres, paniqués, forcent la porte de la cambuse et s’enivrent avec les vins fins du capitaine.

Chaumareys, qui a quitté la Méduse tout en sachant qu’il restait encore un nombre important de personnes (et ne souhaite probablement pas y revenir après avoir essuyé des coups de feu) donne l’ordre à Espiaux d’y retourner avec son canot, accompagné d’une yole, dans laquelle embarquera finalement la famille Picard. Jean Espiaux, lieutenant de vaisseau originaire de Carcassonne, commandant de l’une des chaloupes, vient finalement les chercher. 17 occupants refusent cependant de débarquer et resterons sur la frégate ensablée. De retour, sa chaloupe étant surchargée (88 personnes à son bord), Espiaux approche d’abord le grand canot du Gouverneur puis les autres, pour demander qu’on soulage son embarcation en prenant au moins quelques personnes. Il essuie des refus systématiques. A l’approche du troisième canot (nommé « canot du Sénégal »), qui fait partie de la remorque du radeau, il tente une dernière fois de réclamer de l’aide ; voyant approcher le canot surchargé sur eux, l’équipage du canot du Sénégal panique, détache son amarre de la remorque et prend le large. Toutes les autres embarcations de la chaine de tractage font alors de même ; plusieurs témoins entendent alors « Nous les abandonnons ! » mettant un terme à la remorque. C’en est fini du radeau.

Le courage d’Espiaux sera salué par la suite. Malgré une chaloupe en mauvais état et surchargée, Il arrive cependant à aborder les côtes de Mauritanie et débarque en urgence 65 personnes sur la plage, (dont notre Aimarguois d’Anglas de Praviel) puis reprend la mer pour essayer de retrouver les autres embarcations.

Brisant les codes d’honneur de la marine, le capitaine a évacué la frégate échouée alors qu’une soixantaine de personnes était encore à son bord. Lors de son procès, l’une des conclusions du conseil de Guerre décidera : « à la charge – pour son abandon après la perte totale de la frégate : coupable de ne l’avoir pas abandonnée le dernier ».

Après une confusion indescriptible, le débarquement se termine finalement dans le chaos et la panique générale. Les six chaloupes prennent le large sans reprendre la remorque du radeau, abandonnant celui ci à son sort. Il va dériver durant 13 jours sans pouvoir toucher terre, et sera retrouvé par hasard en mer par la corvette l’Echo. Les chiffres varient sur le nombre d’occupants embarqués. Ils vont de 147 à 160 personnes dont une femme, cantinière du régiment qui accompagne son mari, tous les deux assassinés et jetés à la mer. On retrouve finalement 15 survivants, dont 5 mourrons d’épuisement. Les témoignages écrits par les rescapés font état de batailles sanglantes, folie, meurtres, suicides et cannibalisme durant sa terrible dérive solitaire. En 2016, Une descendante de Griffon du Bellay, un commissaire de la marine employé comme secrétaire particulier du gouverneur Schmaltz, qui faisait partie des 15 survivants du radeau, dévoile un secret de famille : d’anciennes notes du rescapé conservées par la famille durant deux siècles dénoncent les comportement de quelques officiers, qui ont délibérément alcoolisés des occupants du radeau, en leur mettant à disposition une barrique complète de vin, pour ensuite se débarrasser d’eux en les jetant à la mer lorsqu’ils étaient saouls [voir l’article de presse]. Il n’y avait pratiquement que des barriques de vin sur le radeau. Dans la panique du départ on avait du jeter à la mer les réserves d’eau et de nourriture pour l’alléger ; il n’y avait aucun instrument sommaire de navigation à bord, même pas une rame. Le calvaire des occupants du radeau deviendra le point central du scandale de l’affaire de la Méduse. 

Quatre des six chaloupes sont séparées par le mauvais temps et accostent finalement sur les côtes de Mauritanie ; sans eau ni nourriture, certains meurent d’épuisement et de soif, mais au final une grande partie arrive à gagner le Sénégal après un voyage terrible au bord des côtes et dans le désert. En 1824 la survivante Charlotte Dard édite son ouvrage intitulé  « La chaumière Africaine » (2) qui relate ses souvenirs du naufrage de la Méduse à la terrible dérive terrestre dans le désert de Mauritanie. 17 personnes restent sur la Méduse. Deux y perdent la vie, dont un qui pris de folie, se jette à l’eau dans une cage à poule et coule à pic à coté du navire. 12 soldats, après avoir construit un petit radeau, quittent l’épave pour tenter de rejoindre la côte ; on ne les retrouvera jamais. On découvre trois survivants 52 jours plus tard, abandonnés à leur sort sur l’épave encore présente au dessus des eaux. Epuisés et amaigris, ils perdent la vie quelques temps après, dont un est retrouvé assassiné dans sa chambre d’hôpital (l’affaire ne fut jamais résolue). Les deux chaloupes du capitaine et du gouverneur arrivent finalement à St Louis du Sénégal. Le naufrage de la Méduse entre dans l’histoire quelques mois après, lorsque l’on apprend la catastrophe en France. On retient surtout du procès (débuté le 24 Février 1817) l’ingérence de Chaumareys, Mais l’analyse des historiens démontre que le drame de la Méduse est la conséquence de cette période politique ou Royaliste et Bonapartistes s’affrontent encore ici, dans le cadre d’une expédition maritime prestigieuse qui aboutie finalement à une catastrophe. Désaccords et ressentiments entre officiers, mésentente sur les décisions de navigation, communication désastreuse. A cela s’ajoute la présence du gouverneur Schmaltz, l’un des mauvais génie de l’expédition. Décrit comme parvenu et sans tact, il s’immisce dans les conflits tout en imposant de mauvaises décisions. Avec le sombre Richefort (qui finalement ne sera jamais cité au procès), ils s’imposent auprès d’un capitaine fragilisé par ses années d’absence dans la marine qui ne se montre pas à la hauteur de sa mission.

L’affaire devient alors un énorme scandale politique et ébranle le règne de Louis XVIII.

Paulin Étienne d’Anglas de Praviel

tombe d'anglas
Tombe d'Anglas de Praviel au cimetière d'Aimargues

Paulin Étienne d’Anglas de Praviel à 20 Ans lorsqu’il est embarqué sur la frégate la Méduse, comme lieutenant d’infanterie d’armée de terre du bataillon d’Afrique. Il est originaire d’Aimargues, ou il est né le 26 Décembre 1796. La tour d’Anglas semble liée à son nom de famille. On retrouve sa trace dans plusieurs relations du naufrage, d’abord sur le navire puis lors de son débarquement sur les côtes Mauritaniennes. Le personnage est décrit comme assez particulier, chacun se fera une idée. Pensant que son honneur a été bafoué dans cette histoire, il publie en 1818 sa relation du naufrage (3). Ses détracteurs semblent l’accuser d’avoir décroché l’amarre de la chaloupe qui le reliait au radeau, ce qui parait peu probable : d’Anglas était en effet dans la chaloupe d’Espiaux, qui ne faisait pas partie du train de remorque de celui ci.

Charlotte Dard écrit à propos de lui à l’embarquement des soldats sur le radeau : « Un jeune officier d’infanterie, dont le cerveau paraissait fortement affecté, se mit à cheval sur les bastingages de la frégate et là, armé de deux pistolets, il menaçait de tirer sur quiconque hésiterait à descendre sur le radeau ».

Par la suite, lorsque d’Anglas comprends que le capitaine quitte le navire en abandonnant une soixantaine de personnes sur l’épave, il est pris d’une pulsion de vengeance. Fort éprouvé par le fait de voir Chaumareys descendre dans son canot, le jeune lieutenant d’Anglas « craque », et voici comment un nommé Rabaroust (identifié comme passager clandestin) en a témoigné: « Un individu qui se tenait à côté de moi prend sa carabine et couche en joue le Capitaine de la frégate. J’engage une sorte de lutte avec mon compagnon qui semblait avoir perdu la tête: désigné pour le radeau, il en était remonté et courrait de droite et de gauche avec une exaltation inexprimable ». L’intervention de Rabaroust n’a pas permis à d’Anglas d’aller jusqu’au bout de sa soudaine pulsion. Son geste insensé va en susciter d’autres de la part de ces hommes qui enragent comme lui de voir Chaumareys quitter son navire en y laissant tant de monde. D’Anglas finit par embarquer sur la chaloupe d’Espiaux revenue au secours des malheureux restés sur l’épave. Il débarquera sur les plages de Mauritanie quelques jours plus tard le 6 Juillet, sain et sauf, avec 52 soldats et quelques passagers rescapés. 

Etant le plus haut gradé des soldats de terre venant d’échouer sur la plage, il est tenu de prendre en charge le commandement du groupe. Dans son récit, d’Anglas se donne le premier rôle dans l’organisation de la colonne. Mais le soleil lui tape tellement sur le crâne, qu’il se borne en vérité à charger l’adjudant Lepetit de s’en occuper. Plusieurs témoignages concordants affirment que le deuxième jour d’Anglas est si affecté par le soleil qu’on le presse de se dessaisir officiellement du commandement, que l’adjudant Lepetit exerce, de fait, depuis la veille. Le 9 et 10 juillet, alors que la caravane marche péniblement le long des côtes, d’Anglas, épuisé, semble peu à peu perdre la raison. Jean Cochon, un ouvrier de 2eme classe témoigne: « Il s’était ensablé jusqu’aux épaules et avait donné l’ordre à un de ses soldats de lui ôter la vie d’un coup de fusil ». On eut beaucoup de mal à lui faire retrouver la raison.

Peu de temps après, la femme d’un des Caporal s’écroule, épuisée. Elle mourra de soif et d’épuisement. La nuit suivante on rencontre des Maures. Le contact est difficile avec ses bédouins locaux surpris du passage de cette caravane hirsute (on n’arrive pas à communiquer, certains font les poches des naufragés, on leur fait payer à prix d’or des gourdes d’eau). On leur accorde cependant asile et repos dans un camps de tentes proches du désert. D’Anglas dans sa folie s’imagine prisonnier (sa peur est ici justifiée, les razzias sur les côtes Mauritaniennes sont fréquentes à l’époque et servent à alimenter le commerce des esclaves) et se plaint d’être sollicité pour certaines tâches. « Sans doute Paulin d’Anglas de Praviel vécut il comme la plus grande des humiliations le fait de devoir travailler de ses mains, alors que jusqu’ici  la particule de son nom l’avait toujours mis à l’écart des basses besognes ». Les Maures vont cependant leur procurer à boire et à manger, et accepter de les accompagner, moyennant une rançon. Après un douloureux périple de 400 kilomètres, et quelques nouvelles pertes humaines, la caravane arrive enfin en vue de St Louis du Sénégal.

D’Anglas de Praviel retourne en France après un long séjour au Sénégal. Il termine sa vie auprès de sa famille à Congénies, après avoir obtenu la gérance d’un bureau de tabac, un emploi que l’on réservait à l’époque aux vétérans de l’armée. Il est enterré au cimetière d’Aimargues.

Paulin Étienne d’Anglas de Praviel à 20 Ans lorsqu’il est embarqué sur la frégate la Méduse, comme lieutenant d’infanterie d’armée de terre du bataillon d’Afrique. Il est originaire d’Aimargues, ou il est né le 26 Décembre 1796. La tour d’Anglas semble liée à son nom de famille. On retrouve sa trace dans plusieurs relations du naufrage, d’abord sur le navire puis lors de son débarquement sur les côtes Mauritaniennes. Le personnage est décrit comme assez particulier, chacun se fera une idée. Pensant que son honneur a été bafoué dans cette histoire, il publie en 1818 sa relation du naufrage (3). Ses détracteurs semblent l’accuser d’avoir décroché l’amarre de la chaloupe qui le reliait au radeau, ce qui parait peu probable : d’Anglas était en effet dans la chaloupe d’Espiaux, qui ne faisait pas partie du train de remorque de celui ci.

Charlotte Dard écrit à propos de lui à l’embarquement des soldats sur le radeau : « Un jeune officier d’infanterie, dont le cerveau paraissait fortement affecté, se mit à cheval sur les bastingages de la frégate et là, armé de deux pistolets, il menaçait de tirer sur quiconque hésiterait à descendre sur le radeau ».

Par la suite, lorsque d’Anglas comprends que le capitaine quitte le navire en abandonnant une soixantaine de personnes sur l’épave, il est pris d’une pulsion de vengeance. Fort éprouvé par le fait de voir Chaumareys descendre dans son canot, le jeune lieutenant d’Anglas « craque », et voici comment un nommé Rabaroust en a témoigné: « Un individu qui se tenait à côté de moi prend sa carabine et couche en joue le Capitaine de la frégate. J’engage une sorte de lutte avec mon compagnon qui semblait avoir perdu la tête: désigné pour le radeau, il en était remonté et courrait de droite et de gauche avec une exaltation inexprimable ». L’intervention de Rabaroust n’a pas permis à d’Anglas d’aller jusqu’au bout de sa soudaine pulsion. Son geste insensé va en susciter d’autres de la part de ces hommes qui enragent comme lui de voir Chaumareys quitter son navire en y laissant tant de monde. D’Anglas finit par embarquer sur la chaloupe d’Espiaux revenue au secours des malheureux restés sur l’épave. Il débarquera sur les plages de Mauritanie quelques jours plus tard le 6 Juillet, sain et sauf, avec 52 soldats et quelques passagers rescapés. 

Etant le plus haut gradé des soldats de terre venant d’échouer sur la plage, il est tenu de prendre en charge le commandement du groupe. Dans son récit, d’Anglas se donne le premier rôle dans l’organisation de la colonne. Mais le soleil lui tape tellement sur le crâne, qu’il se borne en vérité à charger l’adjudant Lepetit de s’en occuper. Plusieurs témoignages concordants affirment que le deuxième jour d’Anglas est si affecté par le soleil (ce n’est pas le seul hélas) qu’on le presse de se dessaisir officiellement du commandement, que l’adjudant Lepetit exerce, de fait, depuis la veille. Le 9 et 10 juillet, alors que la caravane marche péniblement le long des côtes, d’Anglas, épuisé, semble peu à peu perdre la raison. Jean Cochon, un ouvrier de 2eme classe témoigne: « Il s’était ensablé jusqu’aux épaules et avait donné l’ordre à un de ses soldats de lui ôter la vie d’un coup de fusil ». On eut beaucoup de mal à lui faire retrouver la raison.

Peu de temps après, la femme d’un des Caporal s’écroule, épuisée. Elle mourra de soif et d’épuisement. La nuit suivante on rencontre des Maures. Le contact est difficile avec ses bédouins locaux surpris du passage de cette caravane hirsute (on n’arrive pas à communiquer, certains font les poches des naufragés, on leur fait payer à prix d’or des gourdes d’eau). On leur accorde cependant asile et repos dans un camps de tentes proches du désert. D’Anglas dans sa folie s’imagine prisonnier, et se plaint d’être sollicité pour certaines tâches. « Sans doute Paulin d’Anglas de Praviel vécut il comme la plus grande des humiliations le fait de devoir travailler de ses mains, alors que jusqu’ici  la particule de son nom l’avait toujours mis à l’écart des basses besognes ». Les Maures vont cependant désormais leur procurer à boire et à manger. Après quelques autres pertes humaines, la caravane arrive enfin à St Louis du Sénégal.

D’Anglas de Praviel retourne en France après un long séjour au Sénégal. Il termine sa vie auprès de sa famille à Congénies, après avoir obtenu la gérance d’un bureau de tabac, un emploi que l’on réservait à l’époque aux vétérans de l’armée. Il est enterré au cimetière d’Aimargues.

Tombe de Paulin Étienne d’Anglas de Praviel à Aimargues

Pierre Gros

Inscription de Pierre Gros sur le rôle d'embarquement de la Méduse

Pierre Gros est un jeune Aigues-Mortais qui était présent sur la Méduse. Il avait 22 ans et y prend place en qualité de soldat fusilier d’infanterie de la 1ere des 2 compagnies du Sénégal embarquée sur la Frégate. Son deuxième prénom était « libre », et son surnom « Maraud ». il était né le 20 Février 1794 à Aigues-Mortes. Son nom de famille Gros est prononcé « Grosse » à l’époque, et c’est avec cette orthographe qu’il est inscrit sur le rôle d’embarquement du navire Royal. il était probablement pêcheur de métier, tout comme son père. L’un de ses frères est un ascendant direct de Frédéric Simien. Sur le rôle d’embarquement, une information saute aux yeux : l’année de naissance inscrite (1796) ne correspond pas à celle de Pierre libre, né en 1794. Quelques informations de généalogie et les habitudes de l’époque vont nous permettre de nous faire une idée.

Son père, Pierre Gros, pêcheur à Aigues-Mortes, y est né en 1772. A 18 Ans il se marie (sous tutelle, il n’est pas encore majeur) le 7 janvier 1790 avec Jeanne Moublat. Il aura 6 enfants de cette première union (il se marie 3 fois dans sa vie et a trois autres enfants de son deuxième mariage) dont une seule fille qui voit le jour, Jeanne Gros née en 1792. Sur les 5 garçons, 4 ont le même prénom, « Pierre » (on remarque aussi que la seule fille porte le prénom de sa mère). Il décède à l’âge de 52 ans à l’hôpital d’Aigues-Mortes. De son premier mariage naissent :

  • Jeanne Gros, née en 1792 – décédée le 27 Juin 1876.
  • Pierre Libre Gros, né le 9 Mars 1794 – décédé lors du naufrage de la Méduse en juillet 1816.
  • Jacques Pierre Gros né le 8 Aout 1796 – décédé à l’âge de 14 mois.
  • Pierre Gros né le 21 Aout 1797 – décédé le 28 Janvier 1842 à l’âge de 43 ans, probablement en lien avec l’épidémie de méningite d’Aigues-Mortes. C’est le grand père d’Honoré Gros, charron forgeron, l’ascendant masculin direct au troisième degré de Frédéric Simien.
  • Pierre Gros, né le 5 Septembre 1801- décédé le 27 Juillet 1807 à l’âge de 5 ans.
  • Pierre Gros, né le 12 Janvier 1804 – décédé le 12 Aout 1854, probablement du Choléra qui a fait 191 décès entre le 20 juillet et le 31 août à Aigues-Mortes.


Pierre Libre effectuait son service militaire en 1816. On retrouve son inscription sur les listes de tirage au sort des conscrits de la classe 1814. La décision du conseil d’incorporation est prise le 11 Mars 1813. Il n’est pas sur place le jour du tirage et le document stipule « représenté par le Maire ». A la rubrique « profession » il est noté « inscrit marin ». Pour la date de naissance notée sur le rôle d’embarquement de la Méduse, Il est possible que Pierre Libre se soit inscrit en déclarant la date de naissance de son jeune frère Jacques mort en bas âge, peut être pour lui rendre hommage. La chose était courante à l’époque; la carte d’identité n’existait pas encore, et nombre de cas similaires sont répertoriés. Lors d’une inscription officielle, on donnait le prénom ou la date de naissance d’une autre personne, en général de la même famille.

Aucune précision sur le décès tragique de Pierre ne nous est parvenue. Il est fort probable qu’il était sur le terrible radeau, la troupe de soldats ayant embarquée sur celui ci dès le début. Il est aussi possible qu’il ai refusé d’y monter, et qu’il soit resté sur l’épave ensablée. Lors de la récupération des trois survivants restés 52 jours sur ce qui restait de la Méduse, ceux ci indiquèrent qu’il y avait au début 12 soldats, qui finalement décidèrent de construire un petit radeau et se lancèrent à l’eau dans l’espoir de rejoindre la côte. On n’eut plus jamais de nouvelles d’eux, et l’on retrouva plus tard les restes du petit radeau démantelé, celui ci ayant probablement subi la fureur d’une tempête. La deuxième hypothèse est peut être moins probable, des témoignages montrent que les 17 marins et soldats restés sur l’épave faisaient partie des personnes qui « avaient refusés toute autorité lors du naufrage »: beaucoup étaient ivres ou en train de piller l’épave. Conscrit à 22 ans et faisant son service militaire, Pierre a du probablement suivre ses collègues sur le grand radeau selon les ordres, mais nous ne le saurons jamais. Cinq ans après le drame, alors que le père de Pierre est encore en vie, la Mairie d’Aigues-Mortes reçoit le courrier officiel suivant, annonçant sa disparition en mer :

Marine et colonies.
Registre de l’état civil d’Aigues-Mortes

De par le Roi, le ministre secrétaire d’état ayant le département de la marine et des colonies certifie que sur le registre matricule des compagnies d’infanterie de ligne du Sénégal signé par le conseil d’administration à l’île Saint Louis le 10 juillet 1817 et déposé au bureau du personnel des colonies :
Pierre Grosse, fils de Pierre Grosse et Jeanne Moutade (erreur d’orthographe) ne en 1796 à Aigues-Mortes, canton de Nismes et département du Gard, parti de l’île d’Aix le dix sept juin mille huit cent seize pour le Sénégal sur la frégate « La méduse », est inscrit avec l’apostille : « mort dans le naufrage ». Certifie en outre que le naufrage de la méduse à eu lieu le deux juillet mille huit cent seize.

Paris, le 4 avril 1821
Signé Bortal (ou Portal)
Pour le ministre le directeur de l’administration signé Edmé Mauduit.

Le présent extrait de décès transcrit ci dessus conformément à l’article 98 du code civil par nous premier Adjoint à la mairie officier de l’état Civil de la ville d’Aigues-Mortes, suivant la délégation spéciale du maire du 13 Octobre 1818, le 4 août 1821.

Antoine Collet, 1er adjoint.
Pierre Stanislas Malbois, maire d’Aigues-mortes.

Pierre Gros est un jeune Aigues-Mortais qui était présent sur la Méduse. Il avait 22 ans et y prend place en qualité de soldat fusilier d’infanterie de la 1ere des 2 compagnies du Sénégal embarquée sur la Frégate. Son deuxième prénom était « libre », et son surnom « Maraud ». il était né le 20 Février 1794 à Aigues-Mortes. Son nom de famille Gros est prononcé « Grosse » à l’époque, et c’est avec cette orthographe qu’il est inscrit sur le rôle d’embarquement du navire Royal. il était probablement pêcheur de métier, tout comme son père. L’un de ses frères est un ascendant direct de Frédéric Simien. Sur le rôle d’embarquement, une information saute aux yeux : l’année de naissance inscrite (1796) ne correspond pas à celle de Pierre libre, né en 1794. Quelques informations de généalogie et les habitudes de l’époque vont nous permettre de nous faire une idée.

Son père, Pierre Gros, pêcheur à Aigues-Mortes, y est né en 1772. A 18 Ans il se marie (sous tutelle, il n’est pas encore majeur) le 7 janvier 1790 avec Jeanne Moublat. Il aura 6 enfants de cette première union (il se marie 3 fois dans sa vie et a trois autres enfants de son deuxième mariage) dont une seule fille qui voit le jour, Jeanne Gros née en 1792. Sur les 5 garçons, 4 ont le même prénom, « Pierre » (on remarque aussi que la seule fille porte le prénom de sa mère). Il décède à l’âge de 52 ans à l’hôpital d’Aigues-Mortes. De son premier mariage naissent :

  • Jeanne Gros, née en 1792 – décédée le 27 Juin 1876.
  • Pierre Libre Gros, né le 9 Mars 1794 – décédé lors du naufrage de la Méduse en juillet 1816.
  • Jacques Pierre Gros né le 8 Aout 1796 – décédé à l’âge de 14 mois.
  • Pierre Gros né le 21 Aout 1797 – décédé le 28 Janvier 1842 à l’âge de 43 ans, probablement en lien avec l’épidémie de méningite d’Aigues-Mortes. C’est le grand père d’Honoré Gros, charron forgeron, l’ascendant masculin direct au troisième degré de Frédéric Simien.
  • Pierre Gros, né le 5 Septembre 1801- décédé le 27 Juillet 1807 à l’âge de 5 ans.
  • Pierre Gros, né le 12 Janvier 1804 – décédé le 12 Aout 1854, probablement du Choléra qui a fait 191 décès entre le 20 juillet et le 31 août à Aigues-Mortes.

 

Pierre Libre effectuait son service militaire en 1816. On retrouve son inscription sur les listes de tirage au sort des conscrits de la classe 1814. La décision du conseil d’incorporation est prise le 11 Mars 1813. Il n’est pas sur place le jour du tirage et le document stipule « représenté par le Maire ». A la rubrique « profession » il est noté « inscrit marin ». Pour la date de naissance notée sur le rôle d’embarquement de la Méduse, Il est possible que Pierre Libre se soit inscrit en déclarant la date de naissance de son jeune frère Jacques mort en bas âge, peut être pour lui rendre hommage. La chose était courante à l’époque; la carte d’identité n’existait pas encore, et nombre de cas similaires sont répertoriés. Lors d’une inscription officielle, on donnait le prénom ou la date de naissance d’une autre personne, en général de la même famille.

Aucune précision sur le décès tragique de Pierre ne nous est parvenue. Il est fort probable qu’il était sur le terrible radeau, la troupe de soldats ayant embarquée sur celui ci dès le début. Il est aussi possible qu’il ai refusé d’y monter, et qu’il soit resté sur l’épave ensablée. Lors de la récupération des trois survivants restés 52 jours sur ce qui restait de la Méduse, ceux ci indiquèrent qu’il y avait au début 12 soldats, qui finalement décidèrent de construire un petit radeau et se lancèrent à l’eau dans l’espoir de rejoindre la côte. On n’eut plus jamais de nouvelles d’eux, et l’on retrouva plus tard les restes du petit radeau démantelé, celui ci ayant probablement subi la fureur d’une tempête. La deuxième hypothèse est peut être moins probable, des témoignages montrent que les 17 marins et soldats restés sur l’épave faisaient partie des personnes qui « avaient refusés toute autorité lors du naufrage »: beaucoup étaient ivres ou en train de piller l’épave. Conscrit à 22 ans et faisant son service militaire, Pierre a du probablement suivre ses collègues sur le grand radeau selon les ordres, mais nous ne le saurons jamais. Cinq ans après le drame, alors que le père de Pierre est encore en vie, la Mairie d’Aigues-Mortes reçoit le courrier officiel suivant, annonçant sa disparition en mer :

Marine et colonies.
Registre de l’état civil d’Aigues-Mortes

De par le Roi, le ministre secrétaire d’état ayant le département de la marine et des colonies certifie que sur le registre matricule des compagnies d’infanterie de ligne du Sénégal signé par le conseil d’administration à l’île Saint Louis le 10 juillet 1817 et déposé au bureau du personnel des colonies :
Pierre Grosse, fils de Pierre Grosse et Jeanne Moutade (erreur d’orthographe) ne en 1796 à Aigues-Mortes, canton de Nismes et département du Gard, parti de l’île d’Aix le dix sept juin mille huit cent seize pour le Sénégal sur la frégate « La méduse », est inscrit avec l’apostille : « mort dans le naufrage ». Certifie en outre que le naufrage de la méduse à eu lieu le deux juillet mille huit cent seize.

Paris, le 4 avril 1821
Signé Bortal (ou Portal)
Pour le ministre le directeur de l’administration signé Edmé Mauduit.

Le présent extrait de décès transcrit ci dessus conformément à l’article 98 du code civil par nous premier Adjoint à la mairie officier de l’état Civil de la ville d’Aigues-Mortes, suivant la délégation spéciale du maire du 13 Octobre 1818, le 4 août 1821.

Antoine Collet, 1er adjoint.
Pierre Stanislas Malbois, maire d’Aigues-mortes.

Inscription sur le rôle d’embarquement de la Méduse

Texte de Raymond Lasserre

En furetant dans les archives locales j’ai découvert un document qui laisse rêveur quand on évoque l’horreur du célèbre tableau de Gericault « le radeau de la Méduse ». C’est qu’un jeune soldat Aigues-Mortais que le hasard du service militaire avait envoyé au Sénégal embarqué sur la Méduse fit naufrage et périt sur le tragique radeau. Des souvenirs lointains affluent à ma mémoire. En 1942 j’avais, en me rendant à Dakar, sur le cargo mixte « la Jamaïque », longé les cotes désertiques de la Mauritanie, certies de dunes aveuglantes sur des centaines de kilomètres, où seul le poste du capitaine Juby rompit la mélancolique [illisible]. Or l’officier de quart m’expliquait qu’à cet endroit exact avait eu lieu le célèbre naufrage. Ce jour là le ciel était immuablement bleu, la mer d’un calme étincelant et la chaleur étouffante, sans me douter qu’un compatriote avait sombré dans cet abime un jour de tempête, dans d’horribles conditions. Une stèle dans le cimetière ne devrait elle pas commémorer ce tragique événement ?

« À la mémoire de Pierre Grosse, mort sur le radeau de la Méduse. »

Raymond Lasserre

Sources

  • (1) Lauze de Peret (J.) – Causes et précis des troubles, des crimes, des désordres dans le département du Gard et dans d’autres du midi de la France, en 1815 et 1816. A Paris, De l’Imprimerie de J.-B. Poulet, 1819
  • (2) Charlotte Dard – La Chaumière Africaine. Edition L’harmattan 2005
  • Naufrage de la frégate la Meduse faisant partie de l’expédition du Sénégal en 1816. J. B Savigny et A. Corréard. Tous deux rescapés du radeau. Éditions résonances 1979
  • Michel Hanniet – Le naufrage de la Meduse 1816-2016. Éditions l’ancre de marine 2016
  • Frédéric Simien
  • Denis Escudier-L’affreuse vérité de M. Savigny. Éditions Bordessoules 1991
  • Sander Rang-Naufrage de la Meduse. Éditions E. P. I Paris 1946
  • Philippe Masson-documents d’histoire-L’Affaire de la Méduse. Tallandier 2000
  • (3) Paulin d’Anglas de Praviel-Scènes d’un naufrage, ou La Méduse : nouvelle et dernière relation du naufrage de la Méduse – gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
  • article de radio France sur la descendante de Griffon du Bellay