Le docteur Schilizzi

(1798-1887)

Jean Schilizzi est né le à Smyrne en Turquie (échelles du levant) le 8 Décembre 1798, issu d’une famille Homéride (anciennes familles Grecques prétendant descendre directement d’Homère). Il Arrive en France en 1814, pour suivre des études de médecine (à Montpellier puis à Paris). En 1822, alors qu’il vient d’être nommé docteur en Médecine, il apprend le massacre de ses parents par les Turcs (probablement sur l’île de Chios), ainsi que la confiscation de tous les biens de sa famille. Il décide alors de passer sa vie en France. D’origine étrangère, il  bénéficie des « lettres de déclaration de naturalité » [voir ici], émises par Louis XVIII Sous l’ancien régime, lui permettant de rester légalement en France. Il décide finalement de s’installer à Aigues-Mortes comme médecin, ville qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1887.

Le 24 Décembre 1827, il se marie à Marsillargues avec Jeanne Marie Armentine Gautier, originaire de Saint Gilles. Ils auront deux enfants : Arthur Péricles, né en 1839, qui meurt à l’âge de deux ans. Léon Thémistoclès Jean, né à Aigues-Mortes en 1845, mort à Paris en 1906.

Deux ans après son mariage, il ouvre une demande de naturalisation le 28 Avril 1829, probablement pour quitter son statut d’aubain et acquérir la citoyenneté Française pleine (et ainsi retrouver le droit de gérer sa propre succession). Il a alors 31 ans. Il est finalement déclaré Français 14 ans après, à l’âge 45 ans, le 22 Mai 1843. Jean Schilizzi assumera pendant 50 ans les fonctions de médecin puis médecin chef à l’hospice des douanes et de la garnison, l’ancien hospice situé boulevard Diderot. Sa longue carrière couvre entre autre les deux périodes d’épidémies qu’a connue la ville au XIXe siècle : l’épidémie de méningite en 1841-1842 et l’épidémie de Choléra en 1854-1855. Il a écrit deux mémoires (Il est élu membre de l’académie de médecine de Nîmes en 1859) sur ces deux périodes terribles qu’a subi la population d’Aigues-Mortes. Il survivra à ces terribles épreuves, et fort de sa notoriété et de son dévouement auprès de la population, il devient Maire de la ville de 1859 à 1865 à l’âge de 61 ans, prenant ainsi la succession du maire Adrien Collet.

En 1885, par décret du 31 mars, La médaille d’honneur des épidémies est instituée pour récompenser les personnes qui se sont particulièrement signalées par leur dévouement pendant des maladies épidémiques. De son vivant, deux ans avant sa mort, le docteur recevra cette distinction de l’état Français. En 1930, son petit-fils, M. le commandant Schilizzi, a fait don de la médaille de son grand père au musée du vieux Nîmes. Le médaillon porte la signature du sculpteur Léopold Savine, qui naquit à Aigues-Mortes.

Le docteur était le médecin de nombreuses familles d’Aigues-Mortes (notamment l’ancien maire Jean Vigne-Malbois). Au fil du temps il acquiert des biens et devient propriétaire. 1833 : achat d’une remise à Guillaume Théaulon. 1835 : achat d’une maison aux Desmarets. En 1856, il devient propriétaire du domaine du Môle, acheté à Monyer de Chamborand. En 1859, il met en fermage le domaine de Beauchamps ; Il indique que l’on peut y produire 15 à 20 tonnes de racines de Garence, ainsi que des céréales et du fourrage. En 1860, il achète une maison rue de l’arsenal, ou il est encore déclaré comme docteur (il a alors 76 ans). Dans le journal l’Opinion du Midi du 27 Mai 1863, il est mentionné comme acheteur d’un lot d’échantillon de « vignes étrangères », probablement les fameux plans Américains importés à l’époque. Le même journal du 13 Septembre 1863 le signale comme gagnant du second prix du concours organisé par la société d’agriculture du Gard : il remporte une médaille pour les importantes améliorations qu’il a apporté à son domaine. Onze ans avant sa mort, il est encore recensé rue Plaisantine (l’actuelle rue Emile Jamais), avec son épouse et son cocher.

1er mémoire

Relation historique de la méningite cérébro-spinale
qui a régné épidémiquement à Aigues-Mortes du 29 décembre 1841 au 4 mars 1842. édition originale 1842

2eme mémoire

Exposé pratique sur l’épidémie du choléra-morbus qui a régné à Aigues-Mortes du 6 juillet au 14 septembre 1854, par le Dr Schilizzi. édition originale 1 janvier 1855

Les deux mémoires que le docteur nous a laissé témoignent des conditions de vie et des habitudes des Aigues-Mortais de l’époque, de la pratique de la médecine qui n’a pas encore bénéficié des découvertes modernes du XXe siècle. La lecture de ses écrits est assez poignante, la description des patients et les ravages de la maladie terribles. Sur le mémoire de l’épidémie de méningite édité en 1842, une trentaine de cas sont décrits, l’identité des patients, leur vie au sein du village, leur personnalité. S’ensuivent les conditions dans lesquelles ils se retrouvent frappés par ce fléau que tente d’endiguer le docteur. Les descriptions médicales font froid dans le dos. Certains patients s’en sortirons indemnes grâce au docteur, d’autres auront des séquelles graves, mais hélas la majorité y perdra la vie. Schilizzi officie principalement à l’Hospice et œuvre jour et nuit pour tenter de soulager et traiter la maladie. Il y pratiquera aussi des autopsies. Diverses personnalités médicales de la région lui rendent visite, pour l’aider à faire face à cette hécatombe (notamment les professeurs Lallemand et Franc de Montpellier, à qui il dédiera son premier mémoire). 

Le sort est cruel pour notre Docteur. La maladie éclate à Aigues-Mortes le 24 Novembre 1841, jour du décès de son jeune fils Athur Péricles. L’épidémie continue, à quelques interruptions près, jusqu’au 4 Mars 1842. Souvent plusieurs membres d’une même famille sont frappés presque simultanément. Dans une famille composée de dix membres, 5 individus sont atteints et quatre succombent.. Souvent la femme soignant son mari, ou la mère sa fille, suivent ou précèdent dans la tombe l’objet de leur affection. Sur 160 malades atteints en tout, 120 meurent. Sur 56 douaniers habitant la ville, 7 succombent. Concernant la garnison composée de 80 hommes, pas un homme n’est atteint.

Dans le livre souvenirs de Nicolas Lasserre, Escasso moun peiren (1), l’auteur évoque le malheur de son arrière grand père Nicolas Marchand : « Les malheurs qui l’avaient épargnés jusque là vinrent alors s’abattre sur ces vieilles épaules. L’épidémie qui suivit les inondations de 1840-1841  emportât dans la même journée sa fille ainée et son gendre, le grand Vignas ». Un autre médecin d’Aigues-Mortes est d’ailleurs évoqué dans le texte: le docteur Hass, d’origine Allemande.

Schilizzi écrit plus tard, en 1854, un deuxième mémoire sur ce que vécurent les Aigues-mortais à cette période, l’arrivée du Choléra Morbus. Dans les mémoires de l’académie Royale de médecine (vol 13) les travaux du Docteur sont cités : « M. Schilizzi a donné de ces maladies une relation pleine d’intérêt » et on y décrit la situation à Aigues-Mortes. Notre médecin va vivre une nouvelle fois, avec la population, une épreuve terrible qu’il va devoir combattre sans relâche. On retrouve aussi sa trace dans la presse régionale de l’époque (son nom d’origine étrangère y est d’ailleurs souvent écorché, ou bien sa nationalité d’origine erronée), ou il est régulièrement cité sur diverses affaires dans lesquelles il intervient, notamment une affaire d’infanticide en 1848, l’affaire de la veuve Bouday, qui a défrayée la chronique régionale. Au fil de la lecture de ses écrits et témoignages, On saisi l’importance que le docteur semble avoir eu sur la santé de la population. A sa mort, l’académie de médecine de Nîmes lui rendra hommage comme le plus ancien membre non résident de l’académie. A ce jour aucune photographie de Jean Schilizzi ne nous est parvenue.

(1) Escasso Moun Peirin, Souveni e Raconte. Nicolas Lasserre. Edition originale 1946

Sources :

  • Bibliothèque nationale de France. https://gallica.bnf.fr/
  • Frédéric Simien
  • Lettre de la société d’histoire et d’archéologie d’Aigues-Mortes