De 1907

A la cave des remparts

La sortie de crise du  phylloxera va faire apparaitre de nouvelles situations en ce début de siècle. Un bouleversement technique, économique et foncier va fortement changer le marché du vin. le vignoble récemment renouvelé est d’abord moins robuste, la pratique de la greffe implique des investissements nouveaux, et plusieurs années sont parfois nécessaires avant que la nouvelle plantation ne produise. Au final la vigne demande plus de soins et les traitements cryptogamiques sont assez onéreux. Pour faciliter la reconstruction du vignoble, le législateur vote l’exonération de l’impôt foncier sur les terrains nouvellement plantés pour une durée de quatre ans. Le nombre d’exploitants lui, reste constant sur l’ensemble du Languedoc mais une tendance apparait: la crise phylloxérique a marquée une régression notable des exploitations dites moyennes (de 10 à 40 hectares), celles de petites et grandes tailles semblant mieux se maintenir. L’exploitant moyen a du utiliser ses ressources financières pour reconstituer son vignoble, continuer à embaucher de la main d’œuvre, tout en essayant de moderniser son exploitation. Ses limites financières l’empêchant d’acheter d’autres parcelles, la tendance est alors à végéter et à rejoindre le camp de la petite exploitation. Les grands domaines eux, ont l’avantage de pouvoir disposer d’un matériel à la fois plus moderne et plus rapidement amorti, étant donné l’intensité de leur utilisation. Un fossé se creuse peu à peu entre grandes et petites entreprises. Les grands exploitants se retrouvant alors les seuls à embaucher massivement de la main d’œuvre, l’emploi de journaliers et ouvriers de la vigne commence à baisser. Les petites exploitations familiales elles, s’en sortent mieux grâce a des prouesses de travail et de ténacité. A la veille de la crise viticole, la compétition entre grands et petits vignerons atteint une intensité particulière.

La tendance générale va cependant vers une augmentation de la production. Durant la crise phylloxérique, le danger le plus pressant était de voir les consommateurs Français, insuffisamment approvisionnés, perdre l’habitude de boire du vin, ou à se limiter à une consommation exceptionnelle de vins choisis. Pour parer à ce danger, on eut alors recours à deux procédés : l’importation et la tromperie sur la qualité. En ce début de siècle, alors que le vignoble Languedocien renoue avec la production, le marché continue cependant  à être alimenté par l’importation (conséquence de la création du vignoble Algérien), ainsi que par les mauvaises pratiques de traficotage des vins, dont le secteur semble avoir du mal à se débarrasser malgré une reprise saine de l’activité. On peut cependant relativiser les effets de ces deux pratiques, l’importation des vins étrangers ne représentant que 10% du marché, et on estime alors la vente des produits frauduleux à 5%. Entre 1906 et 1914, de nombreuses études économiques (dont 17 thèses de droit) démontrerons au final les causes principales de cette crise: l’abus de plantations, une trop forte production de vins médiocres, aggravée par la précipitation mise par les propriétaires à vendre toujours plus de vin en même temps. A terme, cette situation allait provoquer une profonde désorganisation du marché: « La distinction du vignoble Méditerranéen par rapport au vignoble des autres régions Françaises est alors de plus en plus nette et se trouve confirmée par l’évolution des rendements ». Le Languedoc fait « pisser » la vigne.

Alors que dès 1883-1894, certains vignobles reconstitués fournissaient leur plein rendement, une certaine fragilité du marché était déjà apparue. A partir de 1899, la production augmente encore, l’engorgement des ventes devient chronique. Dès 1900, une crise de surproduction et de mévente s’abat sur la région du Midi. A l’aube du nouveau siècle, la crise viticole qui éclate dans le Languedoc va devenir le plus puissant mouvement revendicatif rural sous la troisième république. Dès le début, les vignerons essayent de chercher une solution commune, mais leurs intérêts divergent et ils ont tendance à opter pour des solutions différentes. La crise de surproduction prend rapidement de la profondeur et les prix chutent. Alors qu’en 1898 l’hectolitre de vin se vendait 23 Francs, celui-ci chute entre 5 et 7 Francs en 1901. La réaction est vive dans la région. Les grands propriétaires imposent réductions de salaires et licenciements, créant de ce fait un fort chômage dans certains villages (à cette époque à Saint Laurent d’Aigouze, plus de 90% de la population travaillait dans le secteur de la vigne). Au niveau de l’état, hormis quelques députés qui se saisissent de l’affaire (comme Gaston Doumergue), On semble pour l’instant ne pas réagir, le gouvernement de Clemenceau ne prête qu’une faible attention aux déboires des viticulteurs du Midi, qui ne recevront aucune aide en début de crise. Il lui sera reproché plus tard son mépris pour la communauté des paysans du sud.

La pression sociale s’accentue, surtout dans le sud ouest. On reçoit alors des délégations d’agriculteurs au ministère, ou l’on promet des réformes rapides. En réponse à l’effondrement des prix, plusieurs lois significatives sont votées (1900-1903-1905-1906) concernant les vins frauduleux, les pratiques illégales des intermédiaires, la réforme des taxes et les tarifs du transport. 1905 voit la naissance du service de répression des fraudes. Mais au final chacune de ces lois donne lieu à de nouvelles fraudes. Les viticulteurs se plaignent d’une application laxiste de la législation. On éprouve des difficultés à définir la « fraude », et une certaine impossibilité de la réprimer. En 1903, les tensions sont exacerbées par une baisse sensible des taxes sur le sucre (en faveur des betteraviers), entrainant une hausse anormale des vins chaptalisés. Le climat social s’envenime dans le midi. Un comité des vins de France est créé, et tout en marquant son opposition au contrôle de l’état, cherche de nouveaux marchés de buveurs de vin. On tente une campagne de publicité agressive, pour convertir les gens du nord de la France aux piquettes produites en Languedoc. La campagne s’avère inefficace. « Il est fascinant de voir les grands propriétaires du Midi, barons de leur propre industrie viticole, devenir très soucieux de la santé et de la consommation des travailleurs de Lille et de Roubaix ! ». Au niveau foncier, certains domaines commencent à perdre de leur valeur. Le journal « Revue des viticulteurs » du 22 Juin 1905 signale dans un article  : « Le domaine de Listel, dans les dunes d’Aigues-Mortes, qui avait été acheté 750 000 Francs il y a huit ans, n’a trouvé preneur après enchère la semaine dernière, qu’à 130 000 Francs ».

Par ailleurs le conflit entre les grands et petits viticulteurs Languedociens se creuse toujours. Sur les grands domaines, la baisse des couts de production provoque bientôt une vague de grèves des travailleurs agricoles, dont les salaires avaient été diminués en 1901. Pour couvrir leurs dépenses, certains grands propriétaires commencent à produire des vins artificiels. Une grève générale éclate en 1904, alors que le prix des vins atteint un seuil critique, en dessous du prix de revient pour les petits et moyens vignerons. La crise s’aggrave. Les petits vignerons et aussi les ouvriers agricoles commencent à s’apercevoir que les grands viticulteurs peuvent échapper au marasme, soit en rejoignant les négociants dans la fraude, soit par des combinaisons commerciales dont l’effet est de repousser le fardeau de la crise sur les classes populaires. En 1905, Lors d’un congrès viticole organisé à Béziers, la rupture est consommée. Les uns demandent de baisser la production et l’arrêt de tout traitement des vins au profit d’un produit entièrement naturel, les autres réclament le droit d’utiliser encore le vinage et autres techniques de coupe. La rivalité entre groupes sociaux concurrents divise définitivement le secteur. Les grands viticulteurs, sous l’impulsion d’Edmond Bartissol, Baron de la vigne dans la région (défenseur des vins naturels), tentent la mise en place d’un trust, sur le modèle Américain, visant à contrôler la production et les prix du vin. Le projet ne verra jamais le jour. Une autre tentative du même type sera faite par Antonin Palazy en 1906, qui échoue finalement lors de la période la plus difficile de la dépression. Le climat social se durci encore, il va bientôt atteindre un point de rupture. L’organisation de meetings de protestations commence à apparaitre dans tout le Languedoc viticole. Finalement, les grands viticulteurs déciderons tardivement et à regret, de rejoindre le mouvement en soutenant les grandes manifestations de 1907, la crise atteignant son paroxysme cette année là.

Creban de fam !

L’année 1907 en Languedoc devient alors un cri de misère et de détresse au son des « gueux », nom que se donnent eux même les manifestants. Tout commence dans l’Aude, entre Narbonne et Béziers, ou les meetings de protestation deviennent de plus en plus populaires, animés par des orateurs tels Marcelin Albert et Ernest Ferroul, écoutés par de plus en plus de personnes souffrant de la crise (viticulteurs, journalier, ouvriers mais aussi cafetiers, artisans et commerçants). L’appel est relayé par la presse locale, notamment le journal « le Tocsin ». Un mouvement populaire est en train de naitre dans les villes et les villages. Au mois de juin, les manifestants sont de plus en plus nombreux (80 000 personnes à Narbonne, 150 000 à Béziers, 170 000 à Perpignan, 220 000 à Carcassonne et 270 000 à Nîmes). Le Gard étant en retrait car éloigné de l’épicentre de la révolte, la manifestation de Nîmes prends tout de même de l’ampleur grâce au train, qui permet à de nombreux départements de se joindre aux meetings. Nombre d’Aigues-Mortais participeront à ces manifestations, y compris celle de Montpellier qui comptera jusqu’à 500 000 participants. Tous défilent : Hommes, femmes et enfants, maires et curés, instituteurs. Le mouvement de contestation s’organise, les municipalités s’affairent à ouvrir des lieux d’accueil, on met à disposition une cathédrale à Montpellier pour accueillir femmes et enfants venus en masse aux manifestations, on affrète des trains spéciaux. Les slogans deviennent si populaires qu’ils sont inscrits sur des centaines de pancartes lors des meetings (« mort au fraudeurs », « justice pour le vin », « creban de fam! [on crève de faim !] », « vive le vin naturel »). Le 12 Mai à Béziers, un ultimatum est adressé au gouvernement. Si la situation ne se règle pas rapidement, les municipalités vont démissionner, d’autres feront la grève de l’impôt. Un drapeau noir est hissé sur la mairie de Narbonne le 10 Juin, Jaures proclame qu’il faut être attentif au combat de la misère. La situation devient critique. Des groupuscules monarchistes, échaudés depuis 1905 par le texte fondateur entre l’église et l’état, participent à des provocations lors d’émeutes (on y arrête des membres d’Action Française). N’ayant pas toutes les cartes en mains pour comprendre la crise, La vindicte populaire semble en vouloir uniquement aux fraudeurs. La désinformation règne, les autorités et la presse vont laisser courir cette fausse information, craignant une crise politique majeure et un désordre national. « Ainsi, au moment même ou surviennent les évènements de 1907, les économistes ont fait la lumière sur les principales raisons de la crise. Cela n’empêche pas les manifestants de 1907 de proclamer que la raison unique de la crise réside dans la fraude, thèse qui a le soutien de la grande propriété parce qu’elle évite de poser le problème des plantations abusives qui ont surtout été son fait, parce qu’il s’agit d’un thème unifiant et parce que le fraudeur tel qu’on le présente alors (en général anonyme, quelquefois commerçant, jamais viticulteur) est le bouc émissaire idéal. » (J. Sagnes)

Le 12 Mai en gare de Marcorignan des manifestants bloquent une voie de chemin de fer. Le 16 une violente émeute éclate à Béziers, un début d’incendie est signalé à l’hôtel de ville, le maire démissionne. Sentant que le mouvement prend trop d’ampleur, Clemenceau décide d’agir en deux temps : rétablir l’ordre et temporiser sur l’aspect administratif, en essayant de rendre caduque la grève des maires. Il reçoit aussi à Paris le leader des viticulteurs Marcelin Albert, et lui tend un piège pour le discréditer auprès de son public (il lui prête 100 francs pour son billet de retour). Le chef du gouvernement va en profiter pour donner sa version aux journalistes de la presse politique en mettant particulièrement en exergue l’histoire du billet de banque. Les quotidiens nationaux en font leurs choux gras et Marcellin Albert, du statut de rédempteur passe dès lors à celui de vendu. De violentes manifestations éclatent à Narbonne, l’heure est grave. L’armée, commandée par le général Picquart, intervient et commence à mettre en place une vaste campagne de maintien de l’ordre dans le Midi. La journée du 20 Juin, toujours à Narbonne, est marquée par de violents affrontements. Sans sommation audible, la troupe ouvre le feu sur les manifestants, faisant 7 morts. A Montpellier des échauffourées sont signalés, les incidents graves se multiplient mais la troupe ne charge pas. Ce même jour va voir le début des évènements du 17eme d’infanterie stationné à Agde. Les conscrits de ce régiment d’environ 500 soldats provenant du coin (le recrutement est régional) envoyés vers Béziers pour réprimer la révolte vont se mutiner, au départ de la caserne Mirabel d’Agde (aujourd’hui hôtel de ville) avec à leur tête le Caporal Maraval, et refuserons de s’en prendre à leurs frères. Cet acte rarissime dans l’histoire militaire de la France marquera les esprits. Suite à cela, les conscrits au service militaire ne seront plus affectés dans leur propre région.

Le , sous la pression des évènements, le parlement se réuni. Une importante loi est ensuite adoptée, pour protéger les vins naturels et interdire les vins falsifiés. Les exploitations viticoles devront dorénavant déclarer la totalité des superficies exploitées, et la loi leur impose des déclarations de récoltes. C’est l’époque de la confédération générale des vignerons du midi. Les syndicats d’exploitants viticoles vont alors prendre de l’ampleur, ainsi que les groupements de coopératives. Cependant La chute des cours du vin se prolongera jusqu’en 1909. 

Au final ce sera 618 municipalités qui aurons donné leur démission, dont 258 dans l’Hérault, chiffre qui donne la dimension des évènements. La crise a fortement marquée les esprits du début du siècle, elle fut une source d’inspiration pour les poètes, les chansonniers (plusieurs chansons populaires en Français et en Occitan marquent les esprits jusqu’en 1914). Les romanciers tels Lucien Fabre, Ludovic Massé, Gaston Baissette et Léon Cordes écrivent des œuvres majeures, fresques épiques ou réalistes relatant les évènements. Quand à la surproduction de vin, elle sera finalement limitée puis absorbée dès 1910, d’abord après qu’une violente attaque de mildiou, cette année là, entraine une baisse importante de la production, puis grâce à une modernisation accélérée des transports favorisant la circulation du vin dans l’hexagone. Suite à la revalorisation des salaires ouvrier, le niveau de vie augmente et la consommation de vin des Français reprends de manière plus régulière. L’arrivée de la première guerre Mondiale accentue cette reprise. Lors de la guerre de 1914, les vins de notre région partent en masse vers le nord par chemin de fer pour la consommation des poilus. La cave du Cailar sera par exemple équipée d’une canalisation en cuivre spéciale reliant la cave à la gare. On remplissait directement des wagons-citernes chargés en vins, qui étaient acheminés vers le nord de la France, en direction de ces terribles champs de bataille qui allaient bouleverser l’Europe. 

Les conditions du marché du vin changent fortement lors de la crise de mévente. Les consommateurs Français commencent à demander des vins homogènes et stables, de meilleure qualité. Il faut alors parvenir à maintenir la production de manière plus régulière, stabiliser le marché et améliorer la qualité des produits. Dès lors, il devient indispensable de moderniser les anciennes techniques de production dépassées. Cette modernisation étant particulièrement onéreuse, une grande partie des exploitants mis en difficulté financière par les crises successives va alors se tourner vers un mouvement de démocratie agraire. « Peu à peu sur la côte Méditerranéenne, s’impose la conviction que l’association de producteurs permettra de surmonter le défi du nouveau marché. Grace à la maitrise du progrès technique et de la distribution, elle assurera l’adaptation nécessaire et ouvrira la voie d’une libération économique ». (Yves Rinaudo). C’est la naissance du mouvement coopératif viticole.

L’idée n’est pas nouvelle. Le mouvement coopératif est né en Angleterre en 1840 et se diffuse peu à peu en France. La loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1883 autorise la création des syndicats professionnels, de patrons et de salariés, mettant le pied à l’étrier à l’idée de coopération dans le milieu agricole. L’année 1890 voit la formation d’un crédit coopératif placé sous la tutelle de l’état, et la reconnaissance officielle se fera par la loi du 5 Novembre 1894. Dans les campagnes du midi viticole du début du XXème siècle en pleine crise de mévente, la coopérative apparait alors comme une chance à venir, unique et inestimable. Le mouvement est aussi entendu comme socio-politique, et dès le début dans le sud de la France les radicaux et socialistes s’investissent dans ce nouveau projet. Dans la continuité de la crise phylloxérique et celle de 1907, distensions et désaccords politiques sont toujours présents, les futures caves coopératives feront beaucoup parler d’elles. Dès la création de la première en 1901 à Maraussan dans l’Hérault (« les vignerons libres », avec gravé sur le fronton l’inscription: « Tous pour chacun, chacun pour tous ») , se voit ainsi opposée la « bienfaisance vigneronne », catholique et conservatrice, en lutte contre les « collectivistes ». On parlera alors des « caves blanches » (venus plus modérément au mouvement par le biais de la puissante Union des Alpes de Provence) et des « caves rouges », les « filles de la misère » comme l’on disait alors. 

Des difficultés vont apparaitre au début concernant les statuts, services, obligations d’adhérents, patentes et taxes. Des lois promulguées en 1906 et 1908 régulent les problèmes de gestion juridique et statutaire. D’autres sujets liés aux taxes et patentes ne seront fixés qu’en 1920 par une nouvelle loi, et le statut ne sera complété définitivement que de nombreuses années plus tard. Malgré quelques problèmes de mise en fonctionnement, les caves coopératives commencent à produire, et deviennent les vitrines d’un progrès nouveau en terme de traitement des vins. La révolution technique est bien là, les petits vins disparaissent peu à peu au profit d’une meilleure qualité, la coopération permettant en même temps le maintien des petites exploitations. Grace au Crédit Agricole, le mouvement s’étend rapidement, et chaque village de la région va voir la construction de sa propre cave, bâtiment imposant qui deviendra aussi important que la mairie et l’église du village. Au total, le midi Méditerranéen passe de 3 caves vinicoles à plus de 50 entre 1905 et 1913, date de construction de la cave coopérative d’Aigues-Mortes. La construction de celle-ci va d’ailleurs être mouvementée. L’histoire de la cave coopérative des remparts va effectivement faire couler beaucoup d’encre et défrayer la chronique Nationale. 

En début d’année 1913, sur les conseils de Mr Convergne, professeur attaché aux services agricoles du Gard, Les viticulteurs Aigues-Mortais décident de s’organiser pour créer une coopérative agricole. En effet, une fois la vendange rentrée, les plus modestes ne pouvaient alors faire stocker et vinifier la récolte qu’à grand frais, il leur manquait une cave. Le système associatif se met donc en place et le statut est déposé, devant permettre selon les textes, de bénéficier d’une subvention de 25 000 Francs, ainsi que des avances à long terme. Le capital coopératif est de 44 000 Francs, celui ci devant être doublé par le trésors. Au termes de la loi, les coopérateurs doivent être guidés et contrôlés par un ingénieur des améliorations agricoles. On délègue alors Mr Rousselet de Montpellier, qui dès le mois d’Avril commence les études préliminaires pour la construction de la cave. Après une étude de choix du terrain, qui comprend huit propositions d’emplacement sur la commune, on choisi pour des raisons de modernité et avec l’aval de l’ingénieur, un terrain proche de la grande roubine et de la voie ferrée, en face des remparts. Le 26 Avril, l’acte de vente est signé avec le propriétaire du terrain, Mr Mouret, pour une somme de 16 000 Francs. Le maire de l’époque, Mr Durand, lui même agriculteur et coopérateur, s’inquiétant de la proximité de la cave avec les remparts, décide alors d’écrire à Mr Tur, l’architecte en chef des monuments historiques, et lui signale que le terrain venant d’être acheté est situé à 60 mètres des remparts. Celui ci lui répond tardivement que les monuments historiques s’opposent a tout projet jusqu’à 40 mètres des murailles. La cave devant être prête pour la nouvelle vendange, sans attendre d’autres nouvelles de l’état on lance alors les travaux de construction à 62m des remparts, sous l’égide de l’architecte Mr Paul. Sous le contrôle de l’ingénieur de l’état, le chantier avance rapidement (la société d’archéologie d’Aigues-Mortes possède un rare tirage photographique montrant les travaux de construction) et en Octobre la cave est prête pour la vendange 1913. Le couperet tombe alors sur les coopérateurs; L’étude des monuments historiques étant terminée, Le président de la cave reçoit un courrier, l’informant que l’Etat refuse les subventions, sur le motif que « l’Etat ne saurai encourager par un subside du Trésors une entreprise portant atteinte à l’aspect des remparts ». C’est la stupéfaction.

Le Président signale alors que depuis quelques années, à la limite de la zone de 40m du rempart, a été construit un petit bâtiment de stockage de pétrole qui semble n’avoir posé aucun problème. Il s’indigne aussi sur le fait que « C’est sur les conseils de l’ingénieur d’Etat que nous avons construit la cave devant les remparts. Maintenant que de grosses dépenses ont été engagées, l’état nous refuse son concours financier. C’est pour nous la faillite à brève échéance ». Mais il est déjà trop tard. Depuis le mois d’Avril, avant les débuts de la construction, une polémique était rapidement apparue dans la presse Nationale, concernant la proximité de l’édifice avec les remparts d’Aigues-Mortes [voir plus loin une sélection d’articles de presse de l’époque]. Un emballement médiatico-politique National apparait alors, et l’on ne parle plus que du « scandale de la cave d’Aigues-Mortes ». On évoque d’abord une cave devant être accolée aux merveilleuses murailles édifiées sous Saint Louis, d’un sabotage lié à la construction d’un bâtiment affreux qui défigurerait la cité médiévale. L’histoire prend des proportions importantes, et pendant toute la période de construction les principaux journaux d’opinion font les choux gras de l’affaire, certains réclamant la destruction de l’édifice. On y lira aussi que les viticulteurs, furieux de ne pas avoir reçus leur subventions, menacent d’édifier une énorme palissade en face de leur cave, qu’on louerai à des sociétés de publicité pour y installer des affiches de « réclame », ce qui empêcherai la vue des remparts. Ce n’est que le 19 Décembre qu’une édition du journal « Le petit Provençal » publiera un droit de réponse médiatique des agriculteurs sur l’affaire. Chacun y verra alors les fautifs. Voulant absolument que la cave soit prête pour les vendanges, les viticulteurs précipitèrent le chantier de manière hâtive. Dès le début, les monuments historiques semblent avoir mal géré le dossier. l’administration manque de réactivité, personne ne semblant vouloir prendre de décision, l’affaire portée par les médias devenant politique.

Finalement la cave des remparts restera en place. Elle connaitra avec le temps les réussites et les déboires de la production viticole de la région, aux côtés des autres caves crées entre temps (« Les vignerons du Môle » en 1931 – « Les Sablons » en 1952 – « Saint-Louis » en 1960). Après la 1ere guerre mondiale, le vignoble Algérien prend de l’ampleur, et double en superficie entre 1926 et 1935, provoquant une brutale chute des prix en France. Grace à l’intervention de l’état les cours remontent en 1936. Juste avant le début de la seconde guerre mondiale, des travaux d’agrandissement de la cave des remparts sont lancés, pour augmenter sa superficie et ainsi ses capacités de stockage. Comme lors de la première guerre mondiale, le conflit 1939-45 va assainir le marché vinicole, en résorbant les stocks, tout en faisant ressurgir des problèmes liés à l’approvisionnement des produits de traitement, le manque de chevaux et de main d’œuvre, provocant l’amenuisement de la production. Le vignoble du sud sort affaibli et en mauvais état mais il s’accroit à nouveau entre 1946-50. Dès 1953, une crise de mévente revient et plonge le secteur dans une crise durable. Il y a alors 1200 coopératives en France, et l’on continue à importer des vins Algériens pour s’adapter au goût des nouveaux consommateurs : moins d’acidité et une augmentation du degré. En 1970, suite la création du marché commun, on abandonne les vins d’Algérie au profit des vins Italiens. A l’approche de notre époque moderne, l’augmentation de la démographie dans le secteur va voir la disparition progressive de ses myriades de clos de vignes présents sur la commune d’Aigues-Mortes, au profit de constructions urbaines liées à l’agrandissement de la cité. La vigne à Aigues-Mortes ne disparait pas pour autant. L’activité des petits viticulteurs a baissée, avec notamment l’arrivée de la culture de l’asperge des sables, mais les alentours de la ville sont aujourd’hui toujours parsemés d’un vignoble conséquent, tenu en grande partie par les grands domaines historiques, mais aussi par une exploitation familiale traditionnelle amoindrie mais toujours présente. Après la destruction de la cave Saint-Louis (à l’emplacement de l’actuel collège), et après de nombreuses et difficiles négociations, la cave des Remparts est finalement détruite en 2007. Elle disparait dans le cadre d’un projet de remise en perspective du site médiéval.

Sources

  • Coopératives et progrès: les caves viticoles du midi de la France. Rinaudo Yves – cahiers de la Méditerranée, n°48,1,1994. Hommage à Alain Sainte-Marie. pp. 167-183    https://www.persee.fr
  • 1907 Les mutins de la République: La révolte du Midi viticole. Rémy Pech – Jules Maurin. Editions Privat 2013
  • La viticulture et l’économie du Languedoc du XVIIIe siècle à nos jours – Alain Berger, Frédéric Maurel. Les éditions du faubourg 1980
  • https://gallica.bnf.fr
  • https://retronews.fr

Sélection d'articles de presse

La Patrie (1er Novembre 1841-29 Mai 1937), est un quotidien d’information générale du Second Empire. Considéré comme un journal pro-impérial, il fut racheté par l’homme politique Théodore Casimir Delamarre en 1844, aussi propriétaire de La Commune et L’Esprit Public, qui en fit un journal du soir. Sous la révolution de 1848, il fut tour à tour républicain et réactionnaire sous la rédaction de Félix Solar, avant d’être repris en 1858 par Paulin Limayrac, qui lui insufflera son ton polémique. La Patrie tient son succès et sa longévité de ses rubriques consistantes et son ton économique tourné autant vers Paris que les provinces.

Edition du 4 Juin 1913

Les remparts d’Aigues-Mortes sont menacés. Il est question en effet de construire contre ces merveilleuses murailles édifiées sous Saint Louis une vaste bâtisse qui doit servir aux viticulteurs du pays pour y loger leur vin. L’administration des beaux-arts a été immédiatement saisie de l’incident. Un rapport fut demandé au service compétant mais aucune décision n’a encore été prise.

Edition du 23 Aout 1913

On sabote Aigues-Mortes et les beaux arts n’y peuvent rien. La « Patrie » a plusieurs fois appelé l’attention de ses lecteurs sur le sort des antiques murailles d’Aigues-Mortes menacées par un projet de construction hétéroclite. Malgré la protestation des industriels intéressés, protestation que nous avons publié à son heure, il paraît que la menace subsiste toujours et que les pouvoirs publics se préoccupent sérieusement de la question. Il s’agit en effet, de sauver une de nos richesses artistiques les plus nobles et les plus belles. Le cri d’alarme qui avait été jeté par nous même en même temps que par un journal Socialiste voici quelques mois déjà, à enfin été entendu par nos confrères et à donné naissance à une véritable campagne de presse qui, espérons le, amènera à la conservation du merveilleux paysage d’Aigues-Mortes. « Le temps », « le Figaro », « le Gil Blas » ont publié à ce sujet des articles qui, reposant sur les mêmes craintes, dégagent la même conclusion: nécessité de sauvegarder le précieux vestige architectural, intervention immédiate des pouvoirs publics à l’effet d’empêcher toute dégradation susceptible de déshonorer les vénérables remparts de Saint Louis. Mais croirait on que l’administration des beaux-arts qui a fait les premières démarches et tente les premiers efforts se voit dépossédée de ses droits sur la merveille artistique qu’il s’agit de sauver ? Au cabinet de M. Léon Bérard, ou nous nous sommes adressé ce matin on nous a répondu: « Nous sommes malheureusement dans l’impuissance, en ce qui concerne ce projet de construction. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’empêcher que la cave coopérative, puisqu’il s’agit d’une cave, n’empiète sur la partie du monument classé. M. Léon Bérard s’est occupé personnellement de la question, et vous pouvez être sur qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la mutilation d’une telle merveille ». On dit aussi que l’administration des beaux-arts aurai pressenti le ministère de l’agriculture, afin qu’il refuse tout concours financier à la construction de la cave projetée. Mais M. Clémentel qui aurait pu tout au moins conseiller aux industriels d’Aigues-Mortes de choisir un autre emplacement, ne se serait pas cru en droit d’imposer ses conditions.

Le Matin est un journal quotidien français (26 février 1884-17 août 1944) . Lancé sur le modèle du quotidien britannique le Morning News, Le Matin se revendiquait être un journal novateur, « à l’américaine ». Son directeur Alfred Edwards entendait donner « priorité à la nouvelle sur l’éditorial, à l’écho sur la chronique, au reportage sur le commentaire ». Il est interdit à la Libération en raison de son engagement collaborationniste et antisémite pendant l’Occupation.

Nîmes, 7 Novembre.

Aigues-Mortes, si fière de ses remparts, souffre par ses remparts, et le vigneron ne sait plus s’il doit s’attendrir d’orgueil devant l’inestimable enceinte du XIIIe siècle qui fait de sa petite ville la sœur jumelle de Damiette, ou s’il doit regretter le glorieux héritage historique qui lui est échu. Et voici la raison de ce singulier état d’âme. Les vignerons de la classe moyenne ne pouvaient, leurs vendanges faites, ni emmagasiner leur récolte, ni procéder à la vinification, sans s’exposer à des dépenses écrasantes. Les caves et le matériel leur manquaient. Ils se trouvaient à la merci de gros industriels qui, profitant de leur embarras, achetaient à bas prix et avilissaient les cours. Sur les conseils de M. Convergne, professeur attaché aux services agricoles du Gard, ils s’organisèrent cette année même en coopérative et, à l’effet d’obtenir une subvention de vingt cinq mille Francs, ainsi que les avances à long terme consentis par l’état, ils avisèrent le ministre de l’agriculture de la constitution de leur société. Leur capital, qui était de 44.000 francs, devait ainsi être doublé par le trésors.

Au termes de la loi, les coopérateurs devaient être guidés, dirigés, contrôlés par un ingénieurs des améliorations agricoles. On Délégua auprès d’eux M. Rousselet, de Montpellier, qui au début d’avril, entreprit les études préliminaires. M. Rousselet et les coopérateurs recherchèrent ensemble le terrain qui conviendrai le mieux à l’emplacement de la cave. Ils en éliminèrent sept, et finalement, sur le conseil même de leur guide officiel, il choisirent un vaste espace situé au sud d’Aigues-Mortes, entre les vieux remparts et l’étang si magnifiquement chanté par Maurice Barres.

La route, la voie ferrée, le canal de Beaucaire tout proche justifiant commercialement cette désignation. Le 26 Avril,  la coopérative sacrifiant 16 000 francs pour acheter conditionnellement le terrain à M. Mouret. L’acte définitif de vente ne fût, en effet, signé qu’un mois plus tard. Pourtant le maire d’Aigues-Mortes, M. Durand, bien que coopérateur lui-même, s’émut de ce choix, soucieux de sauvegarder la beauté artistique des fortifications dont le front septentrional présente à la pourpre du couchant 500 mètres de splendeurs, il écrivit à l’architecte en chef des monuments historiques. M. Tur, pour lui signaler qu’on devait construire à soixante mètres du rempart. La réponse tardive qu’il reçut n’opposait le veto des beaux arts qu’en ce qui concerne une zone de protection réservée, tout autour de l’enceinte, sur une largeur de quarante mètres. Puis ce fut le silence. Sans attendre la décision de la commission des subventions, les coopérateurs pressèrent leurs maçons. D’accord avec l’architecte qu’on leur désigna, M. Paul, et pour ne pas nuire trop à la perspective, il éloignèrent la bâtisse de la zone fixée par les beaux arts. Les travaux s’achevèrent sans complication d’aucune sorte et sous le contrôle permanent de l’ingénieur de l’état qui, chaque mois, approuvait la situation et signait les pièces comptables. Les vignerons installèrent enfin leur matériel et vendangèrent, tout à la joie d’être chez eux. Le 13 Octobre dernier, le coup de tonnerre éclata. La commission n’accordait pas la subvention, et le ministre de l’agriculture, ignorant sans doute que la cave était bâtie, désapprouvait le projet.

La dépêche du midi (créé le 2 Octobre 1870) , souvent simplement nommée La Dépêche, est un quotidien régional français diffusé dans neuf départements de la région Occitanie ainsi que dans le département de Lot-et-Garonne en Nouvelle Aquitaine, à tendance laïque et radical démocrate.

Aigues-Mortes, 9 novembre.

A peine l’affaire du pont du Gard est-elle close, qu’un nouvel incident oblige les journaux à s’occuper des trésors historiques de notre région. Il s’agit aujourd’hui des remparts d’Aigues-Mortes, dont la perspective est menacée par la construction d’une cave. Nous avons déjà été amenés à parler à nos lecteurs des remparts d’Aigues-Mortes Il y a quelques mois. Les vignerons de la localité avaient organisé une coopérative. Ils sollicitèrent de l’état une subvention de 25,000 francs et lui demandèrent également des avances à long terme. Or l’état n’accorde son appui financier à une coopérative que lorsque l’entreprise est sur pied mais il délègue, dès la constitution de l ‘œuvre, un ingénieur des améliorations agricoles pour guider les coopérateurs. Ce fut M Rousselet, de Montpellier, qui remplit ce rôle auprès des vignerons d’Aigues-Mortes. Sur ses conseils, ils choisirent un vaste espace situé au pied d’Aigues Mortes, entre les remparts et l’étang et achetèrent conditionnellement le terrain  pour y construire des caves. 

Le maire d’Aigues-Mortes Durand signala aux coopérateurs que l’édification de bâtiments, à soixante mètre des remparts portait une grave atteinte à la beauté du site. Le maire Ecrivit à l’architecte en chef des monuments historiques M Tur, pour lui signaler la situation. M Tur répondit tardivement. Il déclara que l’administration des beaux-arts ne s’opposait aux projets des vignerons qu’en ce qui concernait une zone de protection réservée autour de l’enceinte sur une largeur de 40 mètres. puis l’architecte en chef ne donna plus signe de vie. Les coopérateurs tinrent compte de l’observation qu’avait faite ce haut fonctionnaire, et sous la direction de l’état, firent édifier les caves, installèrent leur matériel et procédèrent aux vendanges. Subitement, le 13 octobre dernier, ils étaient avisés que le trésor refusait toute subvention à leur coopérative parce que cette entreprise portait atteinte à un aspect pittoresque qui constitue une richesse nationale. Là-dessus, les vignerons de dire : « C’est sur les conseils de l’ingénieur en chef que nous avons construit la cave devant les remparts. Maintenant, que de grosses dépenses ont été engagées, l’Etat nous refuse son concours financier. C’est, pour nous, la faillite à brève échéance ». Interrogé, le préfet du Gard, M. Duponteil, déclare qu’il avait prévenu les vignerons, qu’il avait écrit au maire d’Aigues-Mortes: « Jamais l’administration n’autorisera l’édification de bâtiments en face les remparts !  Les coopérateurs ajoute-t-il, n’ont pas tenu compte de mon avis. » Quoi qu’il en soit, il semble bien, qu’en cette affaire, les beaux-arts ont fait preuve d une coupable négligence. S’ils n’avaient point tant atermoyé, s’ils avaient d’une manière formelle désapprouvé à temps le projet, s’ils n’avaient point observé, de mai à octobre, le silence le plus complet, on ne se trouverait pas aujourd’hui en face de ce dilemme lamentable: ou laisser massacrer un des plus beaux paysages de France, ou acculer à la faillite d’honorables vignerons qui, dans toute cette affaire, ont agi de la meilleure foi du monde et n’ont fait qu’écouter les conseils d’un ingénieur délégué par l’état. Exaspérés, les coopérateurs déclarent maintenant que si l’état ne veut pas les indemniser, ils feront édifier, en bordure de leur terrain, des palissades qui masqueront complètement la vue des remparts. Il semble bien que, si l’administration avait fait tout son devoir en cette affaire, nous n’assisterions pas aujourd’hui à un douloureux conflit.

Fondé par Paul de Cassagnac en 1885, L’Autorité (25 Février 1886-14 Septembre 1929) est un journal politique français. Après avoir été congédié de la rédaction du Pays, son fondateur, partisan d’un bonapartisme autoritaire et d’un catholicisme fort, a insufflé à sa feuille un concept politique qu’il a lui même inventé, le « Solutionnisme », farouchement anti-républicain, lui permettant de rallier tous les déçus de la IIIe République et ainsi conserver le statut d’un des derniers journaux bonapartistes exerçant une influence nationale. À la mort de Cassagnac, ses fils se relaient à sa direction, avant que la Première Guerre mondiale ne sonne le glas de sa parution.

Une coopérative de vignerons à élevé une bâtisse abominable à soixante mètres des remparts d’Aigues-Mortes, et ce sabotage fait couler beaucoup d’encre en ce moment. Avertis d’avoir à choisir un autre emplacement, les vignerons se sont entêtés dans leur premier projet, et aujourd’hui un énorme cube de ciment armé s’élève devant les murailles d’Aigues-Mortes, et rien ne nous garantit que d’autres bâtiments du même genre ne s’élèveront pas demain à côté de celui-là. Et il reste à expliquer par qui et comment cette horreur fût autorisée, car la coopérative avait bel et bien reçu la promesse d’une libéralité de l’état : ce fût un fonctionnaire de l’état qui la guida dans le choix de l’emplacement, et ce fut un ingénieur désigné par l’état qui fit les plans et dirigea les travaux de la cave. On n’a prévenu les vignerons qu’après l’achat du terrain et quand l’ouvrage était déjà commencé. Le service des monuments historiques est intervenu, nous l’en félicitons: il est intervenu trop tard, nous nous en plaignons; qu’il empêche maintenant de nouvelles constructions, c’est tout ce que nous lui demandons. On dit que, mécontents de ne pas obtenir les libéralités que l’état leur avait promises, les vignerons de la coopérative annoncent qu’ils vont louer leur terrains à des entrepreneurs de publicité pour que ceux ci dressent un écran de panneaux réclames devant les murailles d’Aigues-Mortes. Ces menaces n’ont aucune importance. La loi permet au préfet de fixer autour d’Aigues-Mortes (monument historique) un périmètre de protection où l’affichage sera interdit. On se demande pourquoi cet arrêté n’a pas été pris depuis longtemps.

Le Petit Provençal (11 Mai 1880-25 Aout 1944) fait suite à La Jeune République, fondé en 1876 par Geoffroy Velten et Jean-Baptiste Chanot. Publié à Marseille, il affirme sa place à la gauche de la ligne politique du Petit Marseillais et consacre sur plusieurs pages des rubriques importantes sur les sports (cyclisme, football, tauromachie, tennis, athlétisme, etc.). Bien qu’ayant publié en « une » l’appel du 18 juin 1940, le journal basculera dans le camp du régime de Vichy sous l’Occupation. En conséquence, il sera interdit à la Libération. Fin 1944, les locaux furent envahis par des résistants autour de Gaston Defferre qui refondèrent le journal pour devenir Le Provençal.

Il reste à Aigues-Mortes ses remparts puissants encore, avec ses tours poitevines chantées par Chateaubriand, et qui ont inspiré de belles pages à Maurice Barres. Puis un autre sujet à controverse est venu. On veut protéger les souvenirs artistiques, les monuments historiques, paraît il menacés. Et le tout Paris artistique est parti en guerre… Avec une émotion accrue par la distance qui sépare la vieille ville Languedocienne de la capitale ! On a jeté dans la polémique des accusations de vandalisme. Que c’est-il donc produit d’alarmant ? Il paraît que des viticulteurs pratiques avaient projetés de construire, accolée aux remparts, une immense bâtisse pour y emmagasiner leurs vins, une cave coopérative. Les travaux étaient commencés. Beau tapage ! Les journaux qui font parfois de la littérature, et souvent tout le contraire, publient des articles enflammés d’écrivains volcanisés par.. Le sentiment de l’art ! Le boulevard est en émoi. Et M. Le préfet du Gard a prié les les coopérateurs viticoles de renoncer à leur projet, tout au moins de cesser leurs travaux, et ceux ci ne veulent pas obtempérer. Mais ils disent pourquoi: ils refusent de se laisser diffamer, ni juguler sans défendre leur dignité et leur droit. Ils nous ont écris pour protester. Ils nous demandent une tribune pour présenter leur défense « contre les accusations aussi injustes qu’erronées qui n’ont servi, disent ils, qu’à égarer l’opinion publique et à la soulever contre de malheureux coopérateurs ». Peut-on décemment les empêcher de se défendre ?

Le conseil d’administration de la cave coopérative considère comme un devoir de mettre les choses au point. Il fut confiant dans les promesses faites par le représentant du ministre de l’agriculture à Nîmes. Et il est allé de l’avant. Aussi veut il qu’on ne le condamne pas sans appel. De la longue lettre qu’il nous écrit, nous extrayons l’argumentation, qui, seule importe.

La défense de la cave coopérative.

1/ un grave reproche est fait à notre conseil d’administration d’avoir commencé et entrepris les études sans avoir reçu d’abord l’autorisation. M. Le préfet du Gard nous dit: « Je sais bien que c’est un usage, mais un usage regrettable ». N’est ce pas la meilleure preuve qu’à Aigues-Mortes on s’est conformé aux usages comme partout ailleurs ? Et s’il y a un abus à réformer, est ce à nous à le faire ? Mais, détail piquant, ces études ont été faites par qui, si ce n’est par l’ingénieur de l’état lui-même qui, se considérant comme saisi, entreprit ces études immédiatement afin de gagner du temps et, comme l’atteste une lettre officielle, devait en recevoir l’autorisation quand celles-ci seraient faites ! Eh bien ! L’ingénieur mis à notre disposition se croit autorisé à aller de l’avant pour gagner du temps. Était ce à nous de douter des pouvoirs de notre ingénieur parlant au nom de l’état ?

2/ Parmi les 7 autres terrains présentés, le terrain incriminé est choisi par les membres du conseil d’administration, mais en présence de l’ingénieur du service des améliorations agricoles et de notre architecte, et sur leur avis, comme le leur recommande le directeur des services agricoles du Gard dans une lettre au président de la coopérative en date du 1er Avril. Ce ne fut que par délibération ultérieure de l’assemblée, fin Avril que le choix de ce terrain fut définitivement arrêté. L’acte de vente officiel ne fut du resté signé que le 25 Mai.

3/ Le Maire d’Aigues-Mortes, apprenant le choix de ce terrain et pour éviter par la suite des difficultés à cause du voisinage des remparts, adresse une lettre à M. Tur, architecte des monuments historiques, lui demandant de bien vouloir lui faire connaître les limites où la cave pouvait être construite. Et M. Tur réponds au Maire qui communique sa lettre au conseil d’administration. « l’administration des beaux arts s’opposera à toute construction entre les remparts et l’étang ». Nous retenons dans la lettre du préfet, en réponse au Matin (le journal) :« l’administration s’opposera à la construction d’un immeuble de ce genre en face les remparts ». La cave d’Aigues-Mortes n’a jamais rien reçu de pareil. La seule lettre reçue est celle émanant de M. Tur et ne contenait que l’expression ci dessus : « entre le rempart et l’étang ». La réponse de l’architecte des monuments historiques était très nette, et précisait bien les limites où cette construction ne saurait être tolérée. Et alors, les coopérateurs commencent la construction de leur cave du côté opposé à l’étang, très loin de celui ci, en dehors de la servitude imposée par les beaux arts. Que voulait on de plus ? Puisque l’administration des beaux arts ne faisait à ce moment aucune objection sur l’emplacement choisi! À noter que la zone de servitude étant de 40  mètres nous décidâmes de reporter à 22 mètres plus loin les limites de la construction projetée, pour l’éloigner le plus possible du pied des remparts. Notre cave est donc à 62 mètres, et par conséquent édifiée sur un terrain privé et non frappé de servitude comme l’on publié certains journaux. M. Le préfet écrit dans Le Matin: « je fis alors venir le maire d’Aigues-Mortes et le prévins de faire cesser immédiatement les travaux. » La chose est exacte, mais ce qu’on oublie de dire c’est qu’il y a un intervalle de près d’un mois entre la lettre de M. Tur et la mise en demeure verbale faite à la coopérative d’avoir à cesser la Construction. Mais à ce moment précis, c’est à dire fin Mai, et ce que l’on cache, c’est que les travaux étaient déjà bien avancés: achat de terrain et construction. Une somme de 60 000 francs environs était déjà Dépensée. Logiquement, les membres du conseil d’administration pouvaient ils obtempérer à l’ordre du préfet de cesser immédiatement les travaux ? Des traites étaient passés avec les entrepreneurs pour en acheter officiellement l’engagement formel et collectif liant les coopérateurs. Les travaux déjà très avancés faisaient un devoir aux membres du conseil d’administration de veiller à ce que la cave fût prête aux prochaines vendanges et encouragés en cela, toujours et quand même par les représentants officiels de l’état. Qui peut supposer du reste que de gaité de cœur on puisse infirmer l’ordre à une pléiade de travailleurs les plus sympathiques réunis dans un but de mutualité agricole reconnue et dotée par l’état d’avoir à abandonner les fruits de leur effort moralement et pécuniairement ? Au moment de toucher au port, provoquer un naufrage volontaire et les condamner à la ruine de leurs espérances ?

5/ La construction est achevée, donc les situations financières des entrepreneurs sont signées et approuvées par l’ingénieur de l’état. Ce dernier ne pouvait donc ignorer la continuation et l’achèvement des travaux puisqu’il continuait le concours de son ingénieur à la cave. Les vendanges arrivent, la vinification a lieu. À ce moment, l’enquête de l’administration des beaux arts est finie. La cave aussi, et lorsque les coopérateurs demandent à l’administration compétente de tenir ses promesses, le président de la cave coopérative reçoit avis que la demande de subvention est refusée, sous le prétexte de l’état ne saurai encourager par un subside du trésor une entreprise de nature à porter atteinte à l’aspect des remparts. Ajoutons, pour ceux qui ne connaissent pas l’état des lieux, que depuis quelques années et sans que jamais personne n’ai songé à protester, s’élève à la limite même de la zone de servitude fixée par les beaux arts à 22 mètres, par conséquent en avant de la cave coopérative et sur la gauche, un bâtiment servant d’entrepôt de pétrole, dont l’aspect extérieur et les dimensions ne sont certes pas faites pour rendre plus agréable l’esthétique de nos remparts. Nous ne saurions aussi trop nous élever contre les insinuations malveillantes de certaine feuille présentant les coopérateurs d’Aigues-Mortes comme des béotiens et des saboteurs menaçant de recouvrir tout leur terrain de panneaux en planches servant à réclame afin de dissimuler complètement aux yeux des touristes la vue des vieux murs. Indifférents aux injures, plus soucieux de la beauté incomparable de leur bijou historique que beaucoup de ceux qui crient au sabotage, les coopérateurs gardèrent malgré tout leur sang froid que l’on cherche à leur faire perdre, ne voulant pas croire à une injustice aussi flagrante qui les mettrai au rang des parias. Ils feront tous leur effort pour aboutir à une conciliation possible avec les pouvoirs publics, mais dans la limite des droits et de la dignité de tous ces petits agriculteurs.

Le respect du travail et l’art

Voilà les arguments des coopérateurs en lumière. Au public d’en apprécier la valeur. Incontestablement, l’administration a eu le tort de laisser faire les études de l’établissement de cette cave, de les contrôler, de guider même les premiers travaux, pour en arriver ensuite à interdire leur achèvement. Si vandalisme il y a, si atteinte fut portée à l’art, incontestablement, l’administration départementale a sa part de responsabilité. La cave gêne-t-elle la perspective des remparts ? Voilà le point. Non, disent les coopérateurs. Oui, disent les grands pontifes de l’art pur. Et l’art c’est la vie, ajoutent ils. Mais le travail c’est la vie aussi, répondra t’on. Et les mutualistes viticoles sont des travailleurs. Ils sont intéressants. Ils se sont réunis pour mettre le produit de leur travail en commun. La cave coopérative d’Aigues-Mortes est une manifestation de leur travail, respectable assurément. Peut on, doit on d’un trait de plume, détruire les efforts de ces braves viticulteurs ?

Nous voulons admirer les remparts d’Aigues-Mortes avec leurs tours massives sur lesquelles flottèrent les étendard de Louis IX, de François 1er, d’où Charles Quint contempla peut être les plaines marécageuses du bas Languedoc et l’image de ces splendeurs passées, les luttes de la chrétienté contre les infidèles, et les agressions sarrasines et barbares, les rudes batailles calvinistes apparaissant dans notre esprit, au seuil de la tour de Constance. Mais en face de ce passé grandiose, près de ces évocations de gloire, on ne peut s’empêcher de songer aux réalités du présent, au travail qui est la paix, la joie, la santé, la prospérité des hommes et des nations. La phrase fameuse de Zola chante à nos oreilles : « il n’est pas de bonheur possible, si nous ne le mettons dans ce bonheur solidaire de l’éternel labeur commun ». Et l’on peut penser, sans être un philistin, que les intérêts et les droits des travailleurs doivent être sacrés – comme l’art !