La question religieuse à Aigues-Mortes Pendant la révolution Française. Par Nicolas Lasserre.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
revue méridionale d’histoire locale, de géographie humaine, d’archéologie. 1937,
Aigues-Mortes, Ville de Saint-Louis, en raison de ses origines et en souvenir du saint Roi, a conservé, au cours des siècles, une fidélité inébranlable à la Monarchie, en même temps qu’un profond attachement à sa foi catholique. Cependant, certains documents de nos archives et notamment l’arrêt de la Cour du 14 Novembre 1758, mentionne que, sous le règne de Louis XIII, la ville d’Aigues-Mortes « retourna sous l’obéissance du Roy, après avoir demeuré plus de 60 ans au pouvoir des huguenots, auxquels elle avait été donnée en otage à la paix des Moulins ».
Aigues-Mortes fut également la ville des couvents et des congrégations religieuses. Ayant d’abord vécu sous la tutelle de la célèbre abbaye de Psalmody, elle fut dotée par Saint-Louis d’un couvent de Cordeliers d’où sortirent des aumôniers pour les galères royales, ainsi que des missionnaires pour porter la civilisation aux peuplades lointaines. Au début du XVème siècle, ces mêmes Cordeliers fondèrent une confrérie de Pénitents Gris, association civile de caractère religieux. exclusivement masculine, qui avait pour but de lutter, à côté du clergé paroissial, au maintien de la foi et au développement de la religion catholique. Plus tard en 1622, le Marquis de Varennes, Gouverneur d’Aigues-Mortes, fonda le couvent des Capucins: quelques années après, un certain nombre de Pénitents Gris dissidents, formèrent une nouvelle confrérie dite des Pénitents Blancs. Pour poursuivre les mêmes buts que la société mère. Une troisième confrérie se créa ensuite, mais elle n’eut qu’une existence éphémère (1660 à 1700) et se réunit à celle des Pénitents Gris. Il faut mentionner encore la Congrégation du Saint Sacrement, composée en majeure partie de femmes, dont l’origine est peu connue et dont la mission consistait principalement en la fourniture du luminaire le jour de la délivrance et les jours de prières publiques pour les calamités. Cette société existait encore en 1700: on peut lire en effet, sur le livre de régie de la Commune, le 4 Juin de cette même année, qu’une gratification de 12 livres lui avait été accordée «comme il est d’usage» et pour le motif ci-dessus.
De même que les couvents, chaque confrérie de Pénitents possédait sa chapelle particulière où on se livrait à l’exercice du culte. Ces chapelles existent encore, mais les couvents ont disparu: celui des Cordeliers en 1772, par suite de la pénurie des sujets, et leur église fut désaffectée : les Capucins, bien que ne disposant que de maigres ressources, restèrent à Aigues-Mortes jusqu’à la suppression générale des Ordres religieux.
L’hôpital avait un curé spécial pour le service de sa chapelle: il était en outre desservi par des religieuses qui s’occupaient également de l’instruction des jeunes filles. En 1770, les Frères de la Doctrine Chrétienne furent chargés des écoles de garçons. Si, profondément irritée de la spoliation d’une partie de ses biens communaux dont elle venait d’être victime de la part des Etats de la Province, des impôts excessifs dont on l’accablait malgré les exemptions et les franchises qu’on lui avait octroyées au cours des siècles, la population d’Aigues-Mortes avait senti se relâcher quelque peu ses sentiments de fidélité et d’affection à la Couronne, elle n’en conservait pas moins indéfectibles, sa foi et ses convictions catholiques. Telle était, au point de vue religieux, la situation à Aigues-Mortes et les sentiments de la population, en général, à l’aube de la Révolution Française.
Le clergé paroissial se composait des quatre prêtres imposés par l’ordonnance de l’évêque de Nîmes de 1605, qui étaient à la charge des anciens moines de Psalmody formant le Chapitre d’Alais. Ces quatre prêtres étaient MM. Tourrette, curé et les vicaires Lavnaud, Jaussin et le R.-P. Alexis, capucin. Il y avait comme nous l’avons dit, un curé à l’hôpital, rétribué sur les revenus d’un legs attribué à cet établissement par testament d’un sieur Bernardin Taignon d’Aigues -Mortes. Et en plus. il restait encore dans leur couvent, cinq pères Capucins, y compris le R.-P. Alexis, remplissant les fonctions de vicaire. L’année 1789 se passa normalement à Aigues-Mortes et le service divin s’y exerça comme d’habitude et sans le moindre incident. Le 2 Mai 1790, tous les citoyens actifs de la Commune se réunirent dans l’église des R.-P. Capucins pour rédiger une adresse à l’Assemblée Nationale. Cette adresse, écrite dans des termes très mesurés, exposait la situation misérable dans laquelle se trouvait la population d’Aigues-Mortes qui, ne pouvant subsister que par le produit aléatoire de la pêche et par les travaux des salins, serait réduit à la plus profonde misère si, comme il avait été annoncé, l’Etat supprimait l’exploitation des salines de Peccais. Cette adresse protestait également contre le despotisme de la Province qui avait usurpé les biens patrimoniaux de la Commune pour en investir un riche seigneur, mais elle ne faisait aucune allusion à la question religieuse. Le 11 Juillet suivant, à l’occasion du serment civique qui se fit publiquement sur la place de l’hôtel de ville, la cérémonie comporta une messe solennelle qui fut dite devant la foule assemblée et recueillie par l’aumônier des Gardes Nationales. Cependant, malgré les témoignages répétés de la population dans la persistance de sa foi et l’affirmation de ses sentiments catholiques, malgré les dispositions bienveillantes de la municipalité en faveur de la religion et du clergé, à la stupéfaction générale, le curé Tourette crut devoir, un des premiers, se conformer au Décret de l’Assemblée Nationale du 27 Novembre 1790 sur la Constitution civile du Clergé et, le 12 Janvier 1791, il écrivit de sa propre main sur le registre des délibérations du Conseil municipal, la déclaration ci-après :
« Je soussigné, curé de cette ville, déclare que je suis dans l’intention de prêter dimanche prochain du présent mois, le serment qui m’est prescrit par ma qualité de fonctionnaire public par le Décret de l’Assemblée Nationale du 27 Novembre dernier. Signé : Tourette, prêtre, curé ».
Sur le même registre, et à la suite de la déclaration qui précède, figure le procès-verbal de cette prestation de serment qui eut lieu au jour dit, dans l’église paroissiale, à l’issue de la messe de dix heures du matin, en présence du Corps Municipal et des principaux notables, escortés par un détachement de la Garde Nationale. Avant de prêter le serment, le curé Tourette prononça le discours suivant :
« Messieurs les Officiers Municipaux et notables : c’est au nom et par une disposition particulière de la loi, que vous vous trouvez ici assemblés pour être témoins de mon obéissance et de l’exemple que je m’empresse de donner en ce lieu à mes ouailles, afin que chacune d’elles en son particulier se fasse un devoir en tout ce qui peut la concerner de s’y soumettre. Dieu m’est témoin, mes Très Chers Frères, que je n’ai jamais cessé d’y être soumis et que cette soumission n’a été en moi l’effet ni de la passion, ni de la cupidité, ni de l’esprit de parti, mais plutôt celui de la conviction intime d’une conscience droite qui m’a toujours dicté que je devais m’y soumettre. Eh! quoi, mes Très Chers Frères, de plus raisonnable que cette soumission ? Dieu lui-même ne nous parle-t-il pas par l’organe de nos législateurs et de notre Roi. (Perme Reges Regnant et legum conditores justa decernunt). Résister par conséquent à une pareille autorité ce serait résister à Dieu même et se rendre digne, au jugement de l’apôtre, des Peines Eternelles. (Quid resistit Potestate, Dei ordinatione Reststit. Quid autem Resistant damnationrens sibit acquirunt). Et qu’on ne me dise pas que la foi est destituée des conditions qui lui sont essentielles pour la rendre obligatoire. Par exemple que la sanction royale est nécessaire et que cette sanction de la part du monarque n’est aujourd’hui aucunement libre : Quoi ! Tandis que les chrétiens dans les siècles des martyrs, reconnurent toujours comme véritables lois de l’Empire les Arrêts dictés au Sénat par le glaive des Tyrans encore fumant du sang de ses légitimes empereurs, vous croiriez pouvoir contester la validité des lois qu’un Roi adoré de ses sujets accepte. approuve dans un esprit de Paix, et dans l’intention bien digne de lui, de hâter le Bonheur de ses Peuples ? Quoi, tandis qu’il publie hautement lui-même qu’il adhère librement à la nouvelle Constitution, ce que de toute part les Tribunaux confirment cette vérité en conformant leurs jugements à ses lois, vous penseriez pouvoir prétendre et soutenir avec fondement le contraire ? Quelle témérité ! Quelle folie ! Est-ce à des particuliers à disputer ainsi avec la loi ? Non : mais leur devoir fut toujours de s’y soumettre. Diriez vous encore pour vous dispenser de cette soumission que la loi est en opposition avec la Religion ? que les législateurs par la Nouvelle Constitution Civile du Clergé surtout cherchent à l’avilir, à la renverser, à la détruire. Mais quoi, mes Très Chers Frères, est ce avilir la Religion que de regarder les fonctions du saint Ministère comme les Premières et les plus importantes dans l’Etat, et d’assigner à ceux qui les exercent le Premier rang dans la classe des Citoyens. Est-ce vouloir la renverser, la détruire que de rappeler les Evêques à leurs fonctions, les Chapitres à leur Institution Primitive, et généralement tous les Prêtres à leurs devoirs ? Est-ce vouloir la renverser, la détruire que d’exclure désormais pour toujours du sanctuaire ses membres parasites qui furent si souvent le scandale des fidèles et la honte de l’Eglise ? Est-ce finalement avoir intention de la renverser, de la détruire que d’affecter à l’entretien du culte et de ses Ministres la plus riche comme la plus précieuse portion des revenus de l’Etat. II n’y à que des esprits prévenus et excessivement montés ou des Âmes simples, crédules et égarées qui puissent le prétendre. Je crois donc pouvoir prononcer avec certitude que la nouvelle Constitution du Clergé n’a rien d’opposé à la Religion, qu’elle conserve la foi dans son intégrité, la Morale dans route sa pureté, qu’elle est propre à faire reprendre à l’Eglise son antique splendeur, qu’elle ne blesse la discipline de cette dernière que dans la nouvelle circonscription territoriale des Paroisses et particulièrement des Diocèses, inconvénient que les besoins des Peuples rendent nécessaire, et auquel le souverain Pontife doit nécessairement par la plénitude de son Pouvoir comme étant responsable à Dieu s’empresser de remédier. J’adhère donc de cœur et d’âme à la loi du serment qui m’est ordonnée par le Décret du 27 Novembre dernier, et je Jure de veiller avec soin sur les fidèles de la Paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi. Messieurs les Officiers Municipaux, comme je désire qu’on puisse connaître les motifs qui ont déterminé mon adhésion, mon obéissance au décret auquel je viens de me soumettre, je vous prie et je prends en même temps la liberté de vous requérir d’ordonner la transcription dans le procès-verbal qui sera fait pour constater la prestation de mon serment, du discours par lequel je lai fait précéder ».
Mais la population qui, lorsqu’elle avait connu le Décret instituant la Constitution civile du clergé, y avait vu une une menace contre sa foi, et un retour aux guerres de religion dont la Communauté avait déjà souffert, ne voulut pas admettre ce qu’elle considérait comme un reniement de la part de son curé.
L’abbé Tourette n’avait pas achevé son serment que des imitations du chant du coq retentirent dans l’église. Le tumulte commencé dans le lieu saint se propagea au dehors. La foule grossissante gardait toutes les issues pour faire un mauvais parti au curé à sa sortie. Les Officiers municipaux, avisés de ce qui se tramait à l’extérieur, après avoir requis le détachement de la Garde Nationale de leur servir d’escorte, sortirent avec le curé qu’ils avaient pris sous leur protection et sauvegarde : aussitôt dans la rue, la populace paraissant de plus en plus exaspérée et prête à se livrer à des voies de fait contre le curé, le firent entrer dans la maison de l’un d’eux, le sieur Naud, et exhortèrent la foule à se disperser. Un cri général s’éleva pour demander le départ immédiat du curé et qu’il ne serait point insulté. L’abbé Tourette ayant demandé spontanément à sortir de la ville pour éviter de plus graves désagréments, le Corps Municipal et le détachement l’accompagnèrent sur la route jusqu’à un quart de lieu : ensuite les sieurs Collet et Sol, Officiers Municipaux, se rendirent jusqu’à St Laurent d’Aigouze où ils confièrent le dit curé aux bons soins de la municipalité. Avant de se séparer d’eux, l’abbé Tourette les embrassa et leur exprima ses regrets de quitter les bons patriotes d’Aigues-Mortes et surtout les Officiers Municipaux et la Garde Nationale. Le procès-verbal de la prestation de serment du curé et des incidents qui suivirent fut adressé aux Administrateurs du Département et à ceux du District : en réponse le Directoire du Gard adressa au Corps Municipal, la lettre qui suit :
« Nîmes, le 17 Janvier 1791. Le Directoire du Département, Messieurs, reçoit dans le moment la lettre que vous lui avez fait l’honneur de lui écrire, avec le procès-verbal de la prestation de serment du respectable curé de votre ville. Il ne peut qu’applaudir à la conduite ferme et prudente que vous avez tenue dans cette occasion et qui le confirme dans l’opinion avantageuse qu’il avait conçue de vous ; le Peuple séduit par des insinuations perfides n’a besoin que d’être instruit, c’est à vous. Messieurs, de lui faire connaître son erreur, de l’éclairer sur ses véritables intérêts et de lui apprendre que le serment qui est exigé par les décrets ne fait que lier plus étroitement le pasteur à son troupeau, et oblige les curés à veiller avec plus de soin sur les fidèles de leur paroisse. Le Culte est conservé dans toute son intégrité et la Religion sainte que nous professons reprendra cet ancien lustre qu’elle avait dans la primitive Eglise. Vous trouverez, Messieurs, les maximes répandues dans une proclamation dont nous avons l’honneur de vous adresser quelques exemplaires. Donnez lui toute la publicité qu’elle mérite. Parlez avec chaleur, présentez au Peuple son intérêt personnel et vous serez écoutés, dites lui qu’à Paris déjà 28 curés ont prêté le serment ordonné, qu’à Lyon, dans la Provence et le Dauphiné tous l’ont prêté avec empressement et à la satisfaction publique : si après cela il persistait encore dans son égarement le Directoire userait de tous les moyens que la Loi lui donne pour le ramener à son devoir. Nous vous prions de témoigner à votre Garde Nationale notre satisfaction sur la conduite qu’elle a tenue en cette circonstance et sur le zèle qu’elle a montré à concourir avec vous pour le maintien de la tranquillité et la sécurité de votre digne pasteur. Vous voudrez bien nous informer au plus tôt de l’effet qu’aura produit la proclamation et des dernières intentions du Peuple sur le retour de votre curé. Ce sera d’après ces informations que le Directoire dirigera ses démarches ultérieures. Nous sommes, Messieurs, etc… ». — Signé : Vigier, Rigal, secrétaire Général.
Le même jour, les administrateurs du District de Nîmes adressèrent également une lettre au Corps municipal, pour le féliciter et l’encourager, promettant de le soutenir par l’envoi de forces suffisantes pour le cas où l’ordre viendrait à être troublé.
La proclamation du Directoire du département du Gard, du 15 Janvier 1791, reçut la plus large publicité dans Aigues-Mortes, où elle fut lue et affichée aux principaux carrefours de la ville, et, si elle avait pu calmer les esprits surexcités par la trahison du curé, elle ne réussit pas à modifier les sentiments de la population au regard du Décret sur la Constitution Civile du clergé. (1) [ Le texte se trouve à la fin de cette étude.]
Quelques jours plus tard, l’abbé Esparron, curé de l’hôpital, se refusa a prêter le serment, et en exposa les motifs dans une lettre adressée au Conseil Municipal que nous transcrivons ci-dessous :
« Aigues-Mortes, le 25 Janvier 1791. Je soussigné déclare à MM. les Officiers Municipaux de cette ville et à tous mes concitoyens, que je respecte infiniment l’auguste Assemblée de la Nation ainsi que les Décrets qui en émanent, que j’adhère de cœur et d’âme à tout ce qu’elle a fait pour le Bien Public de la Patrie pour laquelle je suis prêt à sacrifier tout ce que j’ai de plus cher, ma fortune, ma vie même, que cependant ma conscience et mon attachement à la Religion et à la Foi catholique, apostolique et romaine s’opposant à ce que je prête un serment absolu et sans aucune restriction ni modification, je déclare que je ne puis, ni ne doit me soumettre généralement à tous les articles concernant l’organisation du clergé, parce qu’il y en a plusieurs qui regardent directement la puissance spirituelle et ecclésiastique et non la puissance civile et séculière qui, ne pouvant exercer aucune juridiction spirituelle, ne peut prescrire aux Ministres de Jésus-Christ des limites pour y exercer les pouvoirs spirituels, ni leur défendre d’exercer la susdite juridiction spirituelle dans le territoire qui leur a été assigné par l’Eglise, ni supprimer les anciennes juridictions, ni en créer de nouvelles, ni enfin interdire les susdits ministres, ni les suspendre de leurs fonctions pour quelle cause que ce soit ; qu’il n’y a que le temporel des dits Ministres qui soit de son ressort. Tels sont mes sentiments et j’aimerai mieux subir les peines les plus rigoureuses que de m’en écarter, heureux si, je pouvais expier mes fautes, aussi multipliées que les étoile du ciel, par la perte passagère et momentanée de mon temporel et de ma vie. Que je pense qu’aucun Ministre des autels du vrai Dieu ne se refuserait à prêter le serment civique tel qu’il est prescrit par la loi, s’il y était autorisé par l’Eglise gouvernée par le Saint Esprit, sans l’autorité de laquelle ce serment occasionnera toujours des divisions et des chimères entre les pasteurs et leurs troupeaux, et avec cette autorité il les liera les uns aux autres, et fera régner parmi eux cette paix, cette union, cette concorde qu’on doit désirer. Je déclare enfin, que je ne saurai jamais me résoudre à me soumettre aux Lois et aux Décrets à venir qu’autant que cette soumission contiendra la condition exprimée ou tacite qu’il n’y à rien de contraire ni directement, ni indirectement aux Lois de l’Eglise. À toutes ces conditions préalables, je suis prêt à faire le serment civique ordonné par la loi décrété par l’auguste Assemblée Nationale er sanctionné par le Roi. Si j’agissais autrement ma conscience alarmée s’élèverait contre moi-même et me condamnerait, et je perdrais infailliblement l’estime publique et la votre même Messieurs les Officiers Municipaux que je veux conserver ou du moins mériter ». — Signé : Esparron, prêtre, curé de l’hôpital.
Il n’existe rien dans les archives communales indiquant la suite qui fut donnée à cette déclaration, et on ignore même ce que devint par la suite, l’abbé Esparron dont le nom ne figure pas dans la liste des prêtres déportés. Les vicaires refusèrent également de prêter le serment. Les abbés Laynaud et Jaussin, quittèrent la ville aussitôt, seul le père Alexis, capucin, assura le service divin, en l’absence du curé.
À la date du 16 Février 1791, on peut lire sur le registre des Délibérations, une proposition témoignant que les Officier Municipaux de l’époque, ne professaient pas d’opinions antireligieuses. Cette proposition émanant de M. Cambon, Officier Municipal, qui fut plus tard Maire d’Aigues-Mortes, consistait à conserver le couvent des Capucins, à le réparer, et à l’aménager de façon à ce qu’il puisse recevoir environ vingt religieux qui consentiraient à vivre en commun, en se conformant aux lois et décrets de l’Assemblée nationale. En exposant ce projet, son auteur faisait ressortir que la vente du couvent comme bien national ne produirait qu’une somme insignifiante, tandis que sa conservation avec les améliorations proposées, procurerait aux habitants de la Commune et surtout aux commerçants des avantages très appréciables. Le Conseil à l’unanimité, approuva cette proposition, la transmit au Directoire du District qui n’y donna aucune suite. Un peu plus tard le couvent fut vendu. La chapelle désaffectée fut convertie en estaminet et transformée ensuite en halle publique, telle qu’elle existe encore à l’heure actuelle. L’abbé Tourette, que le Directoire du département avait pris sous sa haute protection, espérait que les habitants d’Aigues-Mortes mieux éclairés sur ses véritables sentiments par la bienveillance que lui avaient témoignée les Officiers municipaux, le rappelleraient à son poste à la tête de la paroisse. Son attente fut vaine. Pris de remords, il revint cinq mois après à Aigues-Mortes, et signifia au Corps municipal, le 20 Mai 1791, un acte portant rétractation du serment civique qu’il avait prêté solennellement dans l’église d’Aigues-Mortes le 16 Janvier précédent. Ses ouailles, oubliant son erreur passagère, l’accueillirent avec bienveillance. Il exerça son ministère encore quelque temps. Les actes publics portent sa signature jusqu’au 30 Juin 1791. Une délibération du Corps Municipal du 27 Mai 1791 porte que le curé Tourette a refusé de recevoir les registres curiaux, comme il a refusé plus tard de remettre les clés de l’église et les ornements sacerdotaux à son successeur.
Les Confréries des Pénitents, qui avaient été dans l’obligation d’interrompre leurs cérémonies religieuses à la suite du décret du 27 novembre 1790, s’empressèrent de profiter des dispositions favorables d’un Arrêté du Directoire du Gard du 31 Mai 1791. S’appuyant sur l’article 15 de cet arrêté disant que « tout édifice ou partie d’édifice que des particuliers voudront destiner à l’exercice d’un culte religieux quelconque, portera sur la principale porte extérieure une inscription qui leur sera donnée par le Directoire du département pour indiquer son usage et le distinguer des Eglises publiques appartenant « a la Nation » ; des pétitions portant les signatures de la presque unanimité des habitants furent adressées au Directoire du Département, pour demander l’inscription à porter sur leur chapelle et tous les avantages garantis par les lois et décrets.
Par deux décisions identiques du Directoire en date du 17 Juin 1791, la Confrérie des Pénitents gris et celle des Pénitent blancs furent autorisées à exercer dans leur chapelle respective un Culte religieux, après avoir préalablement mis sur la porte en gros caractères l’inscription suivante:
EDIFICE CONSACRÉ A UN CULTE RELIGIEUX PAR UNE SOCIÉTÉ PARTICULIÈRE PAIX ET LIBERTE 1791
Il est assez curieux de relever parmi les signatures des Pénitents blancs, celle de Pierre Grossier qui fut, peu après, l’animateur de la Société populaire des Sans-Culottes, le Maire révolutionnaire d’Aigues-Mortes sous la terreur. A la suite de ses démêlés avec le Corps Municipal, l’abbé Tourette quitta Aigues-Mortes où il fut remplacé par l’abbé Estornel, prêtre constitutionnel, qui avait prêté le serment, étant vicaire à Manduel, et fut élu curé d’Aigues-Mortes, le 27 Mai 1791. Le 12 Novembre de cette même année 1791, le Corps Municipal passa un bail au sieur Guillaume Verdaguez, entrepreneur, pour des réparations très importantes à l’église paroissiale. Ces réparations consistaient, non seulement à la remise à neuf de l’édifice mais encore à la transformation du chœur, à la suppression des stalles qui avaient été établies pour le chapitre collégial lors de la sécularisation des moines de Psalmody et la suppression de la tribune des Consuls qui se trouvaient en face la chaire. Le devis comprenait en plus le transfert du maître autel de l’église des Capucins dans l’église paroissiale. Le montant total des travaux s’est élevé à la somme de 2.000 livres.
Mais ce respect pour les idées religieuses, pour les manifestations et les cérémonies, pour les édifices consacrés au Culte ne tarda pas à s’attiédir pour faire place à l’indifférence et bientôt à l’hostilité. L’attitude du curé Estornel ne pouvait que faciliter et propager ce nouvel état d’esprit. Une déclaration faite au Corps Municipal le 2 Avril 1792, par les citoyens Pierre Peyret et Guillaume Théaulon fils, faisait connaître que de fréquentes réunions avaient lieu à la maison curiale où il n’était pas toujours question que de bonne harmonie, de paix et de concorde. Le décret du 26 août 1792, intimant aux ecclésiastiques qui n’avaient pas prêté le serment civique ou s’étaient rétractés, l’ordre de quitter la France, fut exécuté dans le courant du mois de Septembre. Les 14, 18 et 21 Septembre, plus de 400 prêtres s’embarquèrent au port d’Aigues-Mortes pour l’étranger. Dans le dernier convoi se trouvaient le curé Tourette, son ancien vicaire le R. P. Alexis ainsi que les abbés Boulary et Crouzet, originaires du pays.
Deux mois plus tard, la Municipalité reçut l’ordre de mettre sous scellés, tous les biens meubles et immeubles des confréries de Pénitents, et malgré les protestations du Corps Municipal une délibération du Conseil administratif du district de Nîmes, en date du vingt-cinquième jour du second mois de l’an second de la République, ordonne la vente immédiate des effets, ornements et meubles des ci-devant Pénitents, et d’envoyer l’argenterie à la Monnaie, spécifiant que les objets dont les frais de transport à Nîmes seraient trop onéreux seraient vendus sur place.
Le 11 frimaire de l’an 2 de la République, le curé constitutionnel Estornel, se présenta devant le Conseil Général assemblée dans la maison commune où se trouvaient également des Membres de la Société Populaire, pour y faire la déclaration suivante :
« À la Commune d’Aigues-Mortes : à la Société Populaire de ladite commune et à tous les Sans-Culottes. Salut et Fraternité ! Citoyens, Depuis longtemps j’avais formé le projet de me présenter à vous pour émettre mon opinion qui est devenue celle de mes collègues de Paris et de plusieurs autres départements; mais, confiné dans une petite ville, livré à la seule méditation philosophique, j’attendais dans le silence le triomphe de la Raison et de la vérité. Il est enfin arrivé cet heureux jour où je puis donner un libre cours à des sentiments trop longtemps étouffés. Je déclare donc solennellement citoyens, que je renonce à jamais aux titres de prêtre et de curé, titres que je n’avais conservés jusqu’ici que pour être plus à même de combattre le fanatisme ; Agé d’environ cinquante ans, prêtre depuis vingt-cinq ans, chargé depuis quinze ans de six neveux orphelins dont trois sont depuis le commencement de la Révolution sur la frontière pour repousser les satellites des despotes, absolument dénué des biens de la fortune. tout ce que je puis offrir en ce moment à ma patrie, c’est le tableau d’une vie laborieuse et pénible; mon sans-culottisme à toute épreuve et mon dévouement à la chose publique. Que ne
suis-je assez fortuné ? Je lui ferais bien volontiers le sacrifice de toute prétention à un traitement. Vive la Philosophie! Vive la Montagne ! Vive la République ! »
À la suite de cet acte le registre des Délibérations porte, que le Conseil Général adressera un extrait de la délibération au Directoire du District de Nîmes, et que la Municipalité, de concert avec le Comité de surveillance, procèdera à l’inventaire des effets ayant servi au culte pour être envoyés sans délai au Directoire du District, Une nouvelle délibération du Conseil Général, en date du 28 Frimaire de l’an 2. » Après avoir constaté l’exactitude de l’inventaire des effets ayant servi au culte ; que déjà le District avait reçu les vases, ustensiles d’argent et de cuivre, les cloches et généralement tous les instruments ayant servi au fanatisme pour abuser de la crédulité du peuple. Considérant qu’il faut encore renverser dans territoire tous les signes du charlatanisme sacerdotal et donner à cette contrée, l’exemple sublime d’un peuple éclairé et sage, qui ne veut d’autre culte que celui de la Liberté, de l’Egalité, de la Philosophie et de la Raison. Le Procureur de la Commune entendu : Délibère unanimement, qu’incontinent et sans délai, il sera procédé au renversement de toutes les croix existantes dans le territoire de cette Cité. Le Conseil Général décide, en outre, au nom de toute la Commune qu’il renonce à jamais à tout ci-devant culte et charge les citoyens Brancassy et Gilles de lui faire incessamment le rapport sur les moyens à prendre pour retenir les décadis de chaque décade en les consacrant au culte de la Raison et de la Vérité ».
L’église paroissiale qui avait d’abord été transformée en caserne, fut convertie en temple décadaire. La chapelle des Pénitents blancs servait toujours de lieu de réunion à la Société populaire des sans-culottes et au Comité révolutionnaire ; celle des Pénitents gris devint le magasin à fourrages pour la cavalerie de la garnison. Les Frères de la Doctrine chrétienne, liés à la Commune par le contrat de 1770, cherchaient depuis assez longtemps à résilier leurs engagements. Dans plusieurs lettres adressées au Corps Municipal en 1788 et 1789, le supérieur Général demandait la fermeture d’un établissement considéré comme « le tombeau de tous les frères qu’on y envoie.» Devant le refus des officiers municipaux, les Frères profitèrent de l’occasion de la prestation de serment pour abandonner le pays et regagner leur maison mère, le 17 Octobre 1791. Par contre, nous voyons que les religieuses de Sainte Ursule qui desservait l’hospice se conformèrent au décret le 20 Septembre 1792.
Un arrêté du Représentant du Peuple Boisset, transcrit sur le registre des délibérations et qui porte la date du 16 Nivôse an 2, donne l’état des effets provenant de la Confrérie des ci-devant Pénitents blancs et qui sont nécessaires à la société populaire des Sans-Culottes d’Aigues-Mortes. Ces effets se composaient de lambris, bancs, armoire, cabinets, lustre et chandeliers, le tout estimé 609 livres 10 sols que ledit Boisset, instruit des sacrifices généreux que la société populaire à fait pour l’entretien et l’équipement de nos frères d’armes, en fait l’abandon à la société, comme un don bien mérité que lui fait la Patrie.
Après la chute de Robespierre, le règne de la Terreur prend fin, et la France respire, mais le Culte ne fut rétabli que plus tard. Le 30 Thermidor de l’an 3, le citoyen Jean Sauvat, prêtre, déclare au Greffe. qu’il se propose d’exercer le ministère du Culte Catholique dans l’étendue de la Commune d’Aigues-Mortes, mais on ne voit pas dans les archives que l’objet de cette demande ait été pris en considération, tant par le Corps Municipal que par le Directoire du Département. Il faut reconnaitre d’ailleurs que les décisions du Conseil général du 28 Frimaire an 2, subsistaient toujours puisque, dans la nuit du 13 prairial an 5, une grande croix peinte en gris fut plantée clandestinement au chemin du Grand Pas, entre la Grande Roubine et la terre de Jean Rey. Sur l’ordre du Corps Municipal, cette croix fut aussitôt enlevée. Dans la nuit du lendemain, une croix identique à la première, mais peinte en blanc fut également plantée au même endroit. La Municipalité ordonna une enquête et demanda des poursuites contre les auteurs responsables qui ne furent jamais connus. Le 10 Juillet 1797. l’abbé Tourette, rentré d’’exil, reprit sa place à Aigues-Mortes en attendant que les paroisses fussent reconstituées. La cure fut rétablie en 1802. L’évêché de Nîmes n’étant pas encore réinstallé, ce fut Mgr Perrier, archevêque d’Avignon, qui replaça l’abbé Tourette comme curé dans son ancienne paroisse. Les cérémonies du Culte furent d’abord célébrées dans les chapelles des Pénitents gris et des Pénitents blancs qui n’avaient pas trop souffert de la période révolutionnaire. L’église paroissiale ne fut réparée et mise en état que plus tard. L’abbé Tourette qui, dès son retour, s’était occupé de réparer les dommages subis par la religion pendant la tourmente, passa le reste de ses jours dans l’austérité et la pénitence. Il mourut le 14 Novembre 1813, à l’âge de 70 ans, laissant son linge aux pauvres de l’hôpital et son calice en argent à la paroisse.
(1) PROCLAMATION DU DIRECTOIRE DU DEPARTEMENT DU GARD
sur le serment à prêter par les évêques, curés et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics du 15 Janvier 1791.
Redoublez de fermeté, de prudence et de patriotisme ! Les ennemis de la chose publique espèrent en trompant votre piété, en alarmant vos consciences, exciter des désordres qui favoriseraient leurs intérêts. L’Assemblée Nationale à décrété et le Roi à voulu que les Evêques, les Curés, les Vicaires et tous les Ecclésiastiques fonctionnaires publics prêtassent le serment de veiller avec soin sur les fidèles du Diocèse ou de la Paroisse qui leur est confié; d’être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi. Ce serment civique, qui lie les Pasteurs aux intérêts de leur troupeau et auquel de toutes parts se sont soumis des Ecclésiastiques respectables, devient un objet de scandale pour quelques Prêtres trompés, ou dont les intentions sont criminelles. On dit que l’Assemblée Nationale a touché aux choses spirituelles, tandis qu’elle à déclaré, et qu’il est évident que ces décrets ne portent que sur des objets purement temporels. On dit que la majesté de l’Eglise est détruite, tandis que nous allons voir revivre ces premières institutions, qui la rendirent si florissante dans les jours de sa pureté et de sa gloire : tandis que tout ce que l’Assemblée Nationale a décrété, s’observait du temps des plus saints personnages. Tous les dogmes de l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine sont respectés : La discipline est conservée. L’union avec le Pape, avec le Chef visible de l’Eglise est maintenue. Vous élirez vous-mêmes vos Evêques et vos Curés, afin que les plus dignes de votre confiance remplissent ces places éminentes. C’est ainsi qu’en usaient les premiers Fidèles : et alors les Pères de l’Eglise occupaient les Sièges Episcopaux, Il est vrai que les revenus des Evêques sont réduits, que les Chanoines, les Abbés commendataires, les gros Bénéficiers sont supprimés ; Il est vrai que les dixmes, ces prémices de vos champs : les dixmes, ces fruits de votre sueur ; les dixmes dont la suppression est le plus grand bienfait pour les campagnes ne seront plus la richesse d’un prêtre oisif. Mais vos Curés et vos Vicaires auront un traitement digne de leurs fonctions sacrées, et les Prêtres qui travaillent seront récompensés par la Nation. Mais vos Eglises, mais les frais du culte ne seront plus laissés à l’avarice d’un Décimateur; et l’Etat y pourvoira avec majesté. On à réduit, on a augmenté selon l’intérêt public, l’étendue des diocèses: afin qu’il n’arrive plus qu’un Evêque soit chargé de 700 paroisses, et qu’un autre n’en administre que 20. On veut proportionner les Paroisses entre elles, afin que chaque Curé puisse remplir convenablement ses fonctions. On ne permettra plus qu’un seul homme fasse le service de deux Prêtres. et l’on vous donnera tous les Pasteurs nécessaires à vos besoins. Citoyens, ce ne sont là que des opérations temporelles ; il n’est aucun de vous qui ne puisse en juger d’après le bon sens et d’après l’Evangile. La Foi n’y est point intéressée ;
elle n’en sera que plus respectable ; le Culte n’en sera que mieux ordonné. Ceux qui vous disent le contraire veulent alarmer la simplicité de vos consciences : ou s’ils sont de bonne foi, ils s’égarent étrangement. Et vous, Prêtres vénérables ! qui vous êtes soumis à la Loi, parce que vous savez être bons chrétiens et bons Français: vous qui n’avez pas regretté les dixmes et que l’ambition ne fait pas agir, recevez ici les témoignages de la reconnaissance publique. Et vous qu’arrête encore une piété trompée ! si vous aimez la Patrie, si vous aimez véritablement la Religion. pratiquez ce précepte d’un Saint Evêque, cette maxime de Saint Augustin : « Pourvu que le culte du vrai Dieu ne soit pas empêché, la Religion observe toutes les lois qui peuvent contribuer à acquérir ou à posséder la paix de la terre. »
La présente proclamation sera lue, publiée et affichée dans tout le Ressort, à la diligence du Procureur général, des Procureurs syndics et des Procureurs des Communes. Et en outre, le Directoire déclare que les Ecclésiastiques Fonctionnaires publics, qui n’auront pas prêté le serment civique dans les délais prescrits, doivent continuer le service divin, à peine d’en être responsables, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à leur remplacement en la forme de droit.
Donnée à Nîmes, le quinze Janvier mil sept cent quatre vingt onze.
Signés : P. Vigier. présidant le Directoire; Baragnon:
Le Cointe: J. Julien Trélis; P. David: Boissière; Dautun:
Griolet, Procureur-Général-syndic; Rigal, Secrétaire Général.
Collationné à l’original, Rigal, secrétaire général.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France